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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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peu mieux chaque jour.
    Solitude… Il l’aimait. Parfois, devant un étal, il croisait ses parents occupés à quelque achat de nourriture, d’étoffe, de lormeries. Ils se souriaient. Il aimait à se débarbouiller d’ombres tièdes, à se plonger frémissant de bonheur et de crainte dans ce qui lui semblait être un coupe-gorge. Il se repaissait parfois des éclats d’une rixe ou des ricanements des filles follieuses pour émerger de cette sentine dans des lieux honnêtes. Çà et là, des hommes et parfois des femmes gargotaient, surtout le soir, quand le marché tirait à sa fin. Les vieux étaient ceux qui buvaient le plus, sans doute pour extirper de leur mémoire les calamités d’une disette qui persistait une lieue à l’entour de la cité. Ils vidaient des hanaps d’un vin aigre pour oublier, comme leurs parents, des ciboires de fiel…
    – J’en ai vidé jusqu’à plus soif en Espagne… Le dernier est pour cette nuit.
    En revenant à Castelreng dans le chariot de ses parents, il sentait dans ses jarrets et ses reins le poids des lieues parcourues et dans son âme la diversité du genre humain dont il commençait à connaître les malices et les faiblesses. Il respirait goulûment l’air pur et l’odeur trouble, charnelle, de la campagne. Il voyait devant lui, après quelques somnolences, la masse énorme mais rassurante du donjon de Castelreng. Vélocement, il allait se coucher. Ennemi de la médiocrité, des fausses apparences et des bonheurs mièvres, ses nuits étaient encombrées de desseins plus ou moins démesurés dont à l’aube, il ruminait les bienfaits.
    – Ah ! Te voilà…
    Paindorge s’avançait, un bissac sur l’épaule.
    – J’étais inquiet.
    – Moi aussi… Je n’ai eu aucun mal aux cuisines, mais le maître queux a voulu qu’on se porte la santé en faveur de Guesclin… J’ai faillit m’étouffer en buvant.
    – Ensuite ?
    – En revenant, j’ai vu les Mauny débâter les mulets de Pèdre.
    Tristan avait dépassé sa mauvaise humeur. La complicité des parents du Breton ne pouvait l’irriter.
    – Bertrand va s’enrichir davantage. Au faîte de la renommée, une fesse, en quelque sorte, sur l’un des accoudoirs du trône, il doit en ce moment, auprès d’Enrique – lequel a dû se laver les mains -, fournir à ses compères l’image d’un procurateur honnête, vertueux, inflexible, aussi tranchant qu’une lame… Vois-tu, Robert, Pèdre était aussi venimeux qu’un aspic, un dispensateur de mal insensible aux tourments d’autrui, particulièrement ceux qu’il avait décidés. Comme lui, le Breton trouve dans l’application de la souffrance une volupté non point secrète, mais triomphante.
    Le regard de Paindorge s’anima d’une lueur indéfinissable.
    – J’en ai encore du mésaise… Quand j’ai vu la tête de Pèdre sur un épieu…
    – Tu aurais vomi si tu avais vu Enrique séparer de son tranchelard la tête du corps de son frère. Et c’est cet homme qui va gouverner l’Espagne !
    – Nul n’a bronché ?
    – Non… Et si tu avais vu la face de Guesclin…
    – Il devait archonner 138  !
    – Sans doute autant qu’au lit auprès de sa concubine… Allons-nous-en !
    Il fallait partir. Un pied sur l’étrier, Paindorge demanda :
    – Et votre armure ? Et mon haubergeon ?
    Tristan eut un geste d’indifférence :
    – L’armure n’était pas mienne et contraignait mes membres. La mienne et la tienne nous attendent à Villerouge.
    Et franchement :
    – Nous n’avons pas touché notre soudée 139 . Il ne me reste que quelques poignées de maravédis… Nous allons sûrement crever de faim.
    Un rire bas suscita la curiosité de Tristan.
    – Vous souciez de rien… Les Mauny étaient trop occupés à empiler les tasses 140 , les escarcelles et les coffrets… D’un coup de pied, j’ai envoyé une bourse grosse comme un esteuf 141 au loin. L’herbe a étouffé la sonnaille… Ils ne peuvent rien savoir vu qu’ils ignoraient tout du contenu des sommes (391) .
    – Les sommes ! grommela Tristan. Tu en dis de bonnes…
    Il regarda le ciel. Il ferait sombre longtemps. La brume de la nuit s’infiltrait comme une fumée dans ses narines. Il y avait un vent léger, signe, sans doute, d’une journée agréable. Du côté du village, des torches flambaient. Les hurlements devenaient plus vigoureux. Un souffle lui apporta un lambeau de chanson :
    En Santa Gadea de Burgos
    Do juran los hijosdalgo
    Alli torna

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