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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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venelles sinueuses, là où les voix éclataient et parfois faisaient écho, où les odeurs se condensaient, où la lumière diffuse du soleil, à force d’étouffer entre les encorbellements des maisons, s’obscurcissait progressivement. Il marchait au hasard, frôlant des boutiques exiguës : ateliers et comptoirs où œuvraient des selliers, des tisserands, des drapiers, des gantiers et des potiers. Artisans et marchands semblaient comme lui se satisfaire de cette fausse nuit bien que quelques-uns, confondant commerce et religion, fissent brûler autour d’eux des chandelles. On les eût dit occupés à quelque complot permanent. Et tandis que les plus hardis – des Juifs sans doute -, à l’aguet sur leur seuil, sollicitaient les passants avec une insistance infatigable, la plupart attendaient patiemment leur venue.
    De même que, dans la cité, le commun et la paysannerie côtoyaient la noblesse et la bourgeoisie sans façons, les fanfeluces, dans les échoppes, jouxtaient les parures précieuses. Et si les fumets qui s’exhalaient des tavernes pouvaient exciter l’appétit du jouvenceau qu’il était, ce n’était pas sans déplaisir que lou pitiou 131 pouvait voir les mouches assaillir les viandes en montre chez les bouchers du marché. Plutôt que de tourner la tête, il se repaissait du spectacle de ces bestioles dont les ailes pailletaient les chairs et les caillots. Il semblait déjà qu’il voulût s’endurcir contre les répulsions et les haut-le-cœur. Le petit huron 132 à l’esprit sobre et aventureux auquel Thoumelin de Castelreng s’évertuait à enseigner de bons principes se composait, au cours de ses errances, une âme sombre et une maussaderie dont, adulte, il ne s’était peut-être pas départi.
    Il soupira. Soupir de satisfaction : il venait d’entrevoir Malaquin et Flori.
    – Vous voilà !
    Il s’insinua entre les deux chevaux, vérifia la tension de leur sangle et des étrivières.
    – Je suis là, dit-il en caressant alternativement leur chanfrein. Vous aussi, vous verrez Carcassonne !
    Et de revenir à son enfance prime.
    Parfois, aux carrefours, des cris retentissaient, dominant le fray 133 des fers sur le sol. C’étaient des chevaliers et des écuyers, camail en tête, le haubergeon ou le plastron de fer apparent sous les plis de la cotte d’armes. Il sentait son sang s’alourdir et s’échauffer. Le temps de leur apparition, il scrutait les faces de bronze sous la cervelière ou la défense de tête déclose. Il évaluait la vigueur de ces corps trapus et la force de préhension des mains de fer sur les rênes orfévrées. En connaisseur, il estimait le prix des éperons d’or ou d’argent. L’un de ces hommes se penchait-il vers lui qu’il éprouvait un plaisir extrême à le dévisager sans doute effrontément. Il ne pouvait oublier que des outrecuidants de leur espèce, numériquement supérieurs aux chevaliers d’Angleterre, avaient été humiliés à l’Écluse, Crécy et ailleurs. Il les détestait presque, comme leurs devanciers fervêtus dont Simon de Montfort et ses croisés avaient annihilé la jactance. Il abhorrait leur déraison, leur superbe et leur « parage » inutile puisqu’ils avaient préjudicié tout un peuple. En fait, il en convenait ce soir, ses méditations précoces, pour simples qu’elles eussent été, l’incitaient à trouver des qualités aux gens du Nord et de la Langue d’Oïl vainqueurs des guerriers de la Langue d’Oc – une langue que plus tard le latin l’avait aidé à contrefaire jusqu’à ce qu’il fût parvenu à s’exprimer comme un Parisien.
    Cette présomption des barons que Montfort avait conduits avec une énergie sans faille, il ne la posséderait jamais. Quoiqu’il se sentit d’une espèce différente, il avait rechigné à les détester. Ironie de la vie : il avait fait partie, dès Poitiers, de leurs descendants. Et qu’était-ce que Guesclin sinon le fils ou l’émule de Simon de Montfort ? Comme l’ancien bourreau de la Langue d’Oc, le Breton aimait à se prévaloir, outre le roi de France, du roi du Ciel ! Sous la double allégation du service de Dieu et de Charles V, il procédait d’un cœur léger aux semailles de mort et hantait moins souvent les lieux du culte que les champs de bataille.
    « D’ailleurs », songea Tristan « bien que les églises pullulent en Espagne, je ne l’ai jamais vu entrer dans l’une d’elles pour y prier et acomminger 134 . »
    Guesclin ne

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