Les spectres de l'honneur
Maguelonne et moi. Je veux qu’il exorcise et bénisse cette demeure.
Paindorge, enfin, posa la question que Tristan attendait :
– Comment les avez-vous… Comment ils sont morts ?
– La justice immanente, comme on dit maintenant. Ou le jugement de Dieu.
En quelques mots, Tristan conta le trépas de la mère et du fils.
– Ainsi, Robert, je me sens dispensé de la moindre déprécation.
Tristan recula de quelques pas :
– Soigne ces deux chevaux si ce n’est trop te demander. Ils sont en sueur et fortraits. Commence par le cheval qu’ils ont monté ensemble. Il a du courage et du cœur. Nous le baptiserons un de ces jours. Et vois : l’aube crève. Nous allons être heureux car nous sommes chez nous.
*
Quand le soleil se fut montré, Tristan, Paindorge et Lemosquet visitèrent le châtelet des caves aux galetas. Hormis les chambres réservées à Thoumelin de Castelreng, Aliénor et Olivier à l’intérieur du donjon, les autres logis méritaient davantage qu’un nettoiement. Les linges, vêtements et meubles furent amenés dans la cour ; les uns déchirés, les autres brisés à la hache. Tous disparurent dans un feu après lequel les trois compagnons partirent se laver et s’épouiller dans le Cougain.
– Je ne partirai pas à Villerouge ce jourd’hui décida Tristan, une fois séché. Maguelonne ne peut entrer dans des lieux si sales et si laids. Le puits est tout proche. Nous nous passerons des seaux de main en main. Nous emplirons des cuves, des barils… Nous laverons tout à grande eau. Il nous faut dépucer, dépurer… Jeter toute la vaisselle, acquérir des draps neufs…
– Avec quoi ? interrompit Paindorge.
– Il y a deux vaches et des moutons à l’étable, dit Lemosquet. Nous les pouvons vendre.
– Non. Nous conserverons ces bêtes.
– Soit, dit Lebaudy qui venait d’apparaître, soutenant son bras blessé. Il nous faut des gelines, des jantes (397) , des canards…
– Nous les aurons. Nous aurons aussi deux ou trois chiens pour nous prévenir des menaces, et deux chats pour guerroyer contre les rats et les souris.
– Il ne nous manque que la fortune, conclut Paindorge.
– Nous l’aurons, Robert. Nous vivrons dans l’aisiveté (398) .
– J’aimerais bien savoir comment !
– Tu vas le savoir, Yvain… et vous autres aussi. Suivez-moi.
Une fois sur le seuil de l’écurie, Tristan montra du doigt à ses compères, au-dessus de la clé de voûte, un écu aux armes des Castelreng.
– C’est là… Portez-moi deux échelles.
Quand il fut parvenu à la hauteur du blason taillé dans du liais, Tristan crocheta ses doigts dans les cavités sises entre la pierre brute et les deux tours sculptées. Il amena lentement sa prise vers sa poitrine.
– Monte, Robert.
Paindorge gravit les barreaux de la seconde échelle.
– Et maintenant ?
– Tiens ta tour comme je tiens la mienne et tire doucement.
Le blason de pierre quitta peu à peu son logement. Quand il fut près de basculer Tristan prévint l’écuyer :
– Nous l’allons sortir omniement 171 puis nous descendrons lentement… Quand nous toucherons le sol, nous déposerons la pierre entre nous… Et je remonterai… Le meilleur des abris est toujours celui qu’on peut voir. C’est mon aïeul, Hélie, qui l’avait aménagé dans ce mur. Nous allons apprendre si mon père a éventé ce secret et si Olivier et sa mère ont profité des précautions que j’avais prises avant de partir pour Paris.
Tristan remonta aux échelons. La cavité contenait un coffret et une bourse qu’il savait emplie d’écus d’or. Il redescendit et les posa sur le sol.
– Voilà ce qui était repost 172 en cet endroit. Ceci appartenait à ma défunte mère. Vous ai-je dit qu’on l’appelait Hombeline ?
– Non, dit Paindorge.
– C’est elle qui me voulut appeler Tristan, bien que ce ne soit pas un nom de la Langue d’Oc.
– Pourquoi ? demanda Lebaudy en grimaçant sous l’effet d’un surcroît de souffrance.
– Elle savait les amours de Tristan et d’Yseult. Elle avait dû, à travers les mots, s’éprendre de l’émule du roi Mark. Mais assez parolé. Nous disposons de quoi voir l’avenir avec sérénité.
Du bout de sa heuse, Tristan toucha le coffret de cuir clouté de cuivre.
– Il y a là des armilles pentacols, doigts 173 , boucles d’oreilles… Maguelonne mérite de les porter… Aide-moi, Robert, à remettre cet écu en place et consacrons-nous ensuite
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