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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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rayonnement glacé qui tombait du ciel et se dédoublait à la surface de la rivière. La tête penchée, les cheveux épars, les jambes et les bras mous, elle perdait son sang par les oreilles et le nez. Ses paupières cillaient. Elle ne pouvait parler. Elle ne sentait pas la fraîcheur de l’eau toute proche de sa cuisse, de son flanc et de son épaule senestre. Elle n’était plus rien et le savait. Le sang qui avait tant échauffé ses veines glissait sur ses lèvres, son cou. Tristan s’aperçut que son nez s’était rompu dans le heurt avec la branche.
    – Je ne sais si je vous aurais frappés. Je ne voulais plus vous voir !
    Était-ce bien la vérité ou un mensonge dicté par une pitié dérisoire ?
    Aliénor remua sa tête défigurée. Ce fut son dernier mouvement.
    Tout en se signant, Tristan s’aperçut qu’il tremblait de froid et de déception. Au terme d’une rupture définitive, différente de toutes celles qu’il avait fantasiées, il devait se contenter d’une poursuite où son fier coursier s’était montré prodigue d’une vélocité qu’il ne devait qu’à lui seul. Il n’était point déçu – au contraire – d’être privé d’un double châtiment qui l’avait tenu en haleine. Le cœur et l’esprit épurés de toute fureur, il n’osait regarder la seconde victime d’un pourchas acharné comme si toute l’angoisse qu’elle avait éprouvée pouvait maléfiquement refluer en lui.
    Quelle puissance invisible et terrible avait exercé sa justice ? Qui, en vérité ?
    La moiteur glacée de son dos lui rappela les réalités immédiates. Fallait-il remonter ce corps et l’abandonner sur le chemin haut ? Fallait-il le laisser où il gisait ?
    « Cette femme était abjecte ! »
    Prenant la morte par une épaule, il la fit rouler dans l’Hers. Les eaux brunes et profondes l’entraînèrent à quelques pas de la rive avant de l’absorber tout entière.
    Il remonta en selle et tourna bride. Il s’aperçut que le cheval blanc le suivait.
    – Viens… Tu étais, toi aussi, une victime… Nous allons cheminer lentement.
    Il ne se sentait pas soulagé. Toutes ses espérances et tous ses mouvements, depuis son apparition à Castelreng jusqu’au trépas d’Aliénor, s’étaient accomplis dans une terrible gradation de malerage et d’acharnement. Jamais, à dire vrai, il n’avait été le maître absolu de sa haine. Elle avait redoublé quand Aliénor s’était révélée insoucieuse de la vie de son fils lorsqu’il avait chu sur les cailloux d’un chemin. Elle était morte. Similitude des châtiments : sans cœur, la mère et le fils avaient péri par la tête.
    Les serviteurs de Castelreng se tairaient. Le moindre commentaire les eût condamnés. Complices, et si justice n’était accomplie par la volonté de Paindorge, Lebaudy et Lemosquet, tous allaient devoir s’éloigner.
    *
    Tristan ne s’était point dépêtré d’une satisfaction maussade lorsqu’il réintégra Castelreng après avoir cheminé sur une autre voie que celle qui passait par la montagnette de Saint-Benoît. Paindorge veillait sur le seuil du château. De loin, il annonça que les murs n’abritaient plus que lui-même, Lebaudy navré à l’épaule, et Lemosquet.
    – Trois morts chez eux, dit l’écuyer en saisissant les rênes d’Alcazar et du roncin blanc pour les mener à l’écurie où Babiéca, Nestor et le liard de Pierre Massol avaient été conduits.
    – Rassurez-vous : dans deux ou trois jours, Girard sera guéri.
    Ensuite, après avoir laissé les chevaux seuls, le temps de décrocher une lanterne dont il rehaussa la flamme en soufflant dessus :
    – Tous ont guerpi avec, ceux qui en avaient, leur monture. Ils ont emporté les morts. Je ne crois pas qu’ils reviendront. Ils ont senti sur eux l’exécration divine, comme dirait frère Clinquant ou frère Fortifiet.
    – Les femmes sont parties ?
    – Évidemment !… Vous avez vu leurs goules ?
    Plutôt ribaudes que meschines… Avez-vous observé qu’il n’y avait aucun enfant ?
    – Aliénor devait les détester. Quand nous repartirons, Lebaudy et moi, pour Villerouge, tu fermeras le grand huis et baisseras la herse… Tu veilleras sur tout avec Lemosquet. Sitôt là-haut, je me démettrai de ma charge. Ensuite, à Limoux, j’épouserai Maguelonne qui peut-être saura convaincre Alazaïs et Sibille de vivre céans… Une fois marié, j’irai chercher un clerc… Sans doute celui qui nous aura unis,

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