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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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malades, bûcheronner pour affronter le prochain hiver, garder et soigner le bétail, entretenir les chevaux et s’exerciser aux armes. Rien de fortuit, à l’inverse de la guerre. Une existence dure et lisse ; des journées à l’issue desquelles le plaisir de se mettre au lit se magnifiait de la présence de Maguelonne. De même que lors de leur sortie d’après-souper, leurs mains se joignaient, leurs bras s’enroulaient autour de leurs corps, leurs lèvres jamais lasses de se joindre recommençaient des cheminements dépourvus des incertitudes et des atermoiements des premières nuits tissées de pâmoisons et de suavités ardentes. Parfois, comme ensorcelé, il advenait que Tristan fût visité par le souvenir d’une bouche offerte par une autre. Une question se posait : «  Qu’est-elle devenue ? » Cette résurrection du passé lui faisait craindre d’aimer insuffisamment Maguelonne. Il se morigénait : il avait voulu ce butin de chair exquise. Il l’avait obtenu. Il avait rêvé d’attouchements inlassables, de répétitions, de soupirs et de réveils étincelants après lesquels il empoignerait la vie et ses difficultés à plein courage. Son épouse se montrait telle qu’il l’avait souhaitée : accommodante, voire agressive. Que voulait-il de plus ?
    Au-delà de leur lit, au-delà de Castelreng et plus loin encore, au-delà de la Langue d’Oc, la guerre continuait. Par le truchement de ses capitaines, Charles V faisait son possible pour bouter les Goddons hors des pays où ils avaient voulu s’agglomérer pour toujours. Alors que juillet prenait fin, le bruit se répandit que le roi était parti pour Harfleur encourager son ost, cependant que Lancastre, sorti de Calais, avait chevauché jusqu’à Thérouanne et Aire. Il y avait eu des escarmouches acharnées dans les contrées que ses armées avaient traversées (400) .
    – Guesclin en était-il ? demanda Tristan à Paindorge qui, retour de Mirepoix, lui rapportait ces faits.
    – Il ne le semble pas. Il doit être toujours en Espagne auprès de sa concubine et de leurs enfants.
    – Sans doute doit-il guerroyer pour entrer en possession des domaines et des châteaux que le Trastamare lui a donnés.
    L’Espagne. Quel temps y faisait-il ? Les gens apprenaient-ils à vivre enfin heureux ? À Tolède, Cristina était-elle entrée au couvent ?
    Ils étaient seuls, Paindorge et lui, proches de l’écurie d’où sortait une odeur de paille fraîche. L’Espagne, ils y pensaient de la même façon. Séville, songea Tristan, Séville où l’amour prenait un caractère de cérémonie religieuse lorsque Francisca lui offrait son corps…
    Le silence de Paindorge semblait le pousser à la réminiscence de ces jours extrêmes. Pourquoi n’oubliait-il pas ? Pourquoi, parfois, des regrets inattendus et despotiques accroissaient-ils en lui une sorte d’amertume qui s’avivait au moindre désagrément de l’existence quotidienne ? Pourquoi éprouvait-il çà et là un sentiment de culpabilité lorsqu’il voyait jouer des enfants qui eussent pu être Simon et Teresa ?
    – La guerre ne viendra pas jusqu’à nous, dit Paindorge.
    Il avait raison. D’ailleurs, pour se laver l’esprit des horreurs qu’elle dispensait, il fallait préparer la fenaison et les prochaines vendanges, acheter des comportes et des barils, retailler une vis de pressoir – ce dont Lebaudy s’occupait à merveille. Chaque soir, toute la mesnie de Castelreng se réunissait autour de la grande table, vouée à une frugalité provisoire ; et les parlures allaient bon train.
    Lors du souper du dimanche 2 septembre, Alazaïs quitta précipitamment les convives. Ils l’entendirent, peu après, vomir à gros sanglots dans la cour. Paindorge ne s’était pas déplacé.
    – C’est rien, dit-il. Elle est grosse de deux mois.
    Maguelonne dévisagea Tristan avec une sorte de désespoir, puis son regard se tourna vers Alazaïs qui revenait, pâle et souriante :
    – Robert vous l’a dit ?
    – Oui, acquiesça Sibille tournée vers sa sœur. Allons, nous enfanterons toutes un jour. C’est la vie…
    Maguelonne baissa la tête, puis le dos comme sous un gros fardeau de déception et d’envie.
    – Rassure-toi, murmura Tristan. Nous aurons des enfants lorsque Dieu le voudra.
    Il comprenait que son épouse eût été affectée par l’annonce de cette prochaine naissance. Elle avait espéré, sans doute, être la première à révéler une grossesse

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