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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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à l’ouvrage.

 
IV
     
     
     
    Tristan épousa Maguelonne le samedi 5 mai 1369 en l’église Saint-Martin de Limoux. Le samedi suivant, Paindorge et Alazaïs se marièrent. Deux semaines après, Lebaudy prit pour femme Sibille, la sœur aînée de Maguelonne, et Lemosquet une jeune giponnière 174 limouxine, Antonia Cantayré, avec laquelle, contrairement à ses compères, il décida de vivre en ville.
    Une existence nouvelle, paisible et active, commença pour Tristan. Bien qu’il ne voulût rien apprendre des événements extérieurs à Castelreng – tragédies, comédies et calamités dont la connaissance eût exercé une néfaste influence non seulement sur lui-même mais, par contagion, sur ses proches -, ceux-ci s’imposèrent de loin en loin à son attention par la force de leur intérêt et l’écho qu’ils trouvaient en Langue d’Oc.
    Ainsi apprit-il un jour de juin que pour mettre fin à la querelle dynastique d’où était née la longue guerre contre les Goddons, Charles V avait fait examiner les chartes et les traités de paix conclus avec l’Angleterre et adressé des lettres d’ajournement au prince de Galles, son « aimé et féal cousin (399) . » Sommé de comparaître en la Chambre des Pairs, le fils d’Édouard III avait répondu qu’il irait volontiers à Paris bassinet en tête, accompagné de soixante mille hommes. Après l’avoir jugé par contumace, le Parlement avait décidé la confiscation de toutes les possessions anglaises en France. Non content de l’assentiment de ses États, et pour donner à sa cause le secours de toutes les forces morales du pays, le roi avait fait consulter les écoles les plus renommées : Paris, Montpellier, Toulouse, Orléans, Bologne, et les plus doctes élèves en cour papale. Au dire de Paindorge, retour du marché de Limoux, le conflit allait devenir une espèce de guerre sainte.
    – Avec un roi aussi pieux, c’est forcé ! conclut l’écuyer.
    Maguelonne s’inquiétait :
    – Repartiras-tu guerroyer ?
    Tristan considérait ses grands yeux apeurés où parfois sourdaient des larmes.
    – J’ai servi le roi Jean à Poitiers ; je l’ai servi à Brignais. J’ai servi son fils à Cocherel. Je suis allé une fois sur la Grande Ile et deux fois en Espagne. C’est assez.
    En même temps que se parfaisait l’amour qui les unissait, la vie à Castelreng devenait plus aisée. Ils avaient engagé quatre couples. Chaque matin, après s’être concertés, ils leur distribuaient les besognes de la journée, laissant à Lebaudy, Paindorge et leurs épouses le choix de leurs vacations. Jamais seuls de l’aube à la vesprée – à moins qu’ils n’allassent à Limoux en signifiant à leurs amis et à la domesticité de demeurer sur place -, Tristan et Maguelonne attendaient le soir pour quitter leur demeure main dans la main ou bras dessus, bras dessous. Comme à Villerouge, ils erraient dans les chemins et les prés à l’en-tour du château. Avant de quitter le tinel où les meschines desservaient, le maître, comme on l’appelait, n’oubliait jamais de saisir l’olifant de son père par son enguichure et de le mouliner de la manière dont Angilbert le Brugeois, l’apostat de Brignais, faisait tourner son crucifix. Cependant, peu à peu, ses craintes de voir réapparaître les expulsés de Castelreng s’amenuisèrent. S’il renonça au port de la grosse corne de bœuf sertie de viroles d’or, le souvenir d’Angilbert subsista qui, parfois, en provoquait d’autres.
    « Avant d’avoir un pied dans la tombe », songeait-il, « j’en conserve un dans le passé. »
    Jamais il ne parviendrait à se guérir de Brignais. Jamais il ne pourrait effacer de sa mémoire les remembrances qui concernaient Briviesca, Burgos, Tolède, Séville, Bordeaux et Rechignac.
    Passionnée aux moments suprêmes, Maguelonne montrait beaucoup de patience, de diligence et d’humilité dans la conduite des jours. Tristan s’étonnait qu’elle fût d’une humeur tellement égale qu’elle semblait la conséquence d’une secrète mélancolie.
    – Te languis-tu de Villerouge ? s’inquiétait-il en essayant d’élucider l’énigme d’un regard qui, soudain, se dérobait au sien.
    Non, elle ne regrettait rien, mais elle se fut montrée heureuse que son oncle vécût à Castelreng, ce à quoi Pierre Massol s’était refusé : il aimait les hauteurs venteuses du Termenès.
    Il fallait défricher les champs abandonnés, soigner les vignes

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