Les valets du roi
suffisamment pour vendre sa culpabilité à mes maîtres car elle me montra aussi la cache où elle dissimulait ses documents secrets. Et me confia qu’il s’agissait des derniers ordres de mission maritime du ministre anglais de la Guerre. Sans que je le veuille, peu à peu, elle m’avait communiqué son attachement à cette cause et, à l’heure de la trahir, je lui ai tout avoué. Elle a eu pour moi l’indulgence que j’espérais. Et plus encore. Elle m’estima capable de la remplacer le temps qu’il lui faudrait pour laisser douter de sa culpabilité. Elle m’a remis ce billet qui explique ses inquiétudes et donne ces informations dont je viens de vous parler.
Mary sortit la lettre de son sein et la tendit à lord Mel-fort. Celui-ci la parcourut, puis la reposa sur le bureau. Il aurait tout le temps de la déchiffrer. Mary reprit la parole :
— Emma de Mortefontaine me laissa rendre compte auprès de mes maîtres de l’échec de ma mission. Je compris l’importance de celle-ci en empochant la coquette somme qu’on me remit à cette intention. Sur les ordres d’Emma, je devais donc m’embarquer ensuite pour vous délivrer l’assurance de sa fidélité et son retrait des intrigues. Au moment de quitter Douvres, pourtant, je m’avisai qu’elle avait oublié de m’établir un laissez-passer pour obtenir audience auprès de vous. Je suis revenue sur mes pas. Un coche était garé devant l’entrée. En reconnaissant sur celui-ci les armes du colonel Titus, j’ai eu le sentiment que quelque chose m’était caché. J’ai donc espionné leur conversation, en me glissant dans le jardin sous les fenêtres laissées ouvertes. « Notre plan a fonctionné, disait Titus à Emma. Avant longtemps, grâce à ce benêt, vous jouirez comme moi des bienfaits du roi Guillaume sans être accusée de trahison comme je l’ai été et notre complot visant à assassiner Jacques II pourra se réaliser. » Le benêt, monsieur, se trouva fort courroucé de sa sottise et de ces gens qui l’avaient utilisé. Je n’ai pas pris ce bateau qui partait, bien décidée à me venger de leurs manigances. J’ai surveillé Emma de Mortefontaine et j’ai appris qu’elle devait se marier avec un des comploteurs, armateur de son état, qui jouit aussi auprès de vous d’une grande confiance. Ainsi liée à lui, elle écartait d’elle toute suspicion et tout danger.
— Son nom ? demanda lord Melfort, qui à présent ne doutait plus de la sincérité de Mary et tout au contraire se louait de lui avoir prêté l’oreille.
— Tobias Read, monsieur. Forte de tout cela et de cet honneur qu’Emma de Mortefontaine a bafoué, j’ai décidé de m’acquitter de ma mission auprès de vous, mais pas comme un benêt.
Un long silence suivit son aveu.
Lord Melfort réfléchissait. Tobias Read était arrivé la veille à Saint-Germain et s’était installé dans son hôtel particulier avant de demander une audience à Sa Majesté. Celle-ci, souffrante, ne la lui avait pas encore accordée.
— Que voulez-vous en échange de ces informations, milady ?
Mary se leva.
— Rien, monsieur. J’ai obéi à ma conscience et non à mon intérêt. Je n’ai pas la grandeur de vos gens de cour, mais je suis fidèle à ce que je crois juste et vrai.
— Cela vous honore, répondit lord Melfort en se levant à son tour pour la raccompagner. Soyez certaine que le roi Jacques vous en saura gré.
Il n’avait aucun goût pour les petites gens, comme nombre de puissants, mais pouvait trouver un intérêt certain à utiliser leur attachement à sa cause. Inconnue de la noblesse à la cour, lady Readgemond pourrait mieux espionner et les servir. Mary se rompit d’une révérence et prit congé. Si, comme elle le pensait, son stratagème avait fonctionné, avant longtemps elle brillerait à la cour davantage qu’Emma l’avait fait.
Moins d’une semaine plus tard, en effet, au moment même où Corneille et Mary emménageaient dans le meublé rénové, un billet du roi Jacques la priait à paraître aussi souvent qu’il lui plairait. La missive était assortie d’une invitation à assister au prochain concert donné par le maître de chapelle Innocenzo Fede dans le pavillon sud-est.
— Je suppose que toute dame a besoin d’un valet, lança Corneille d’un air faussement agacé.
— Tout autant que d’un époux, lâcha-t-elle en songeant qu’elle n’aurait bientôt plus que l’embarras du choix dans cette noble
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