Les valets du roi
vous en aurez un autre dès que vous en aurez besoin.
La main de Mary trembla de plaisir en l’empochant.
— Merci, Sire, répondit-elle avec reconnaissance. Vous n’aurez pas à le regretter.
— Une chose encore. J’ai reçu Tobias Read pour lui donner le change, me protégeant par la présence d’un de mes gardes déguisé en valet. Collez à ses pas, mais soyez prudente.
— N’ayez crainte, Sire. Je saurais me défendre si besoin était.
— Je n’en doute pas, chère enfant. Non, répéta-t-il, je n’en doute pas. Alfred va vous reconduire. Il n’est pas très causant mais fort habile à manier l’épée. En cas d’attaque nocturne, il vous sera utile.
Mary laissa le roi Jacques à ses pensées qui rejoignaient les siennes. Quelle utilité pouvait donc avoir Tobias Read de cette liberté de circuler ?
A peine fut-elle rentrée au logis pour y raconter son aventure que Corneille éclata d’un rire joyeux.
— J’avais bien remarqué que nous étions surveillés, dit-il, c’est une des raisons pour lesquelles j’ai laissé croire à nos épousailles.
— Il y en a d’autres ? s’étonna Mary.
— D’autres quoi ?
— D’autres raisons…
Son regard se noya dans le sien, violent comme un ciel d’orage.
— Sans doute.
— Lesquelles ? insista-t-elle, ne pouvant vraiment croire ce qu’elle pressentait.
— Prouve-moi que tu es une véritable espionne, jolie Mary. Découvre-les, la nargua Corneille, refusant de s’abaisser une fois encore à espérer.
— Pas maintenant. Je tombe de sommeil.
— L’aube est proche. Repose-toi.
— Tu ne te recouches pas ?
— J’ai dormi mon content, assura-t-il en s’habillant.
Mary eut du mal à s’endormir, toute à l’excitation de cette fortune, inquiète pourtant d’avoir à tromper Tobias, même si elle savait qu’il ne pourrait la reconnaître ainsi transformée. D’autant que, Forbin aidant, Emma et lui la pensaient noyée.
Elle décida d’ôter de son cou ces pendentifs qui risquaient de la perdre, dérogeant ainsi depuis la mort de sa mère à la promesse qu’elle s’était faite de toujours les porter. Elle s’endormit enfin. Et ce fut Marguerite qui vint toquer à sa porte pour lui annoncer l’heure du déjeuner.
*
C ette fin août fut brûlante.
La famine était partout et la police n’en finissait plus d’endiguer des mouvements d’humeur. Dans les campagnes de France, ce n’étaient que lamentations, deuil ou colère. Les enfants en bas âge et les vieillards étaient les plus touchés. Il en mourait en grand nombre. Le niveau de la Seine avait baissé et elle charriait de maigrelets cadavres de rats dans ses eaux nauséabondes. Il se racontait même que ces bêtes échouées sur les abords du fleuve étaient monnayées à prix fort et qu’on les mangeait, au risque d’une nouvelle épidémie de peste.
Mary et Corneille s’étaient séparés douloureusement de Marguerite et de Thomas pour s’installer dans le petit hôtel particulier. Des ordres avaient été donnés pour satisfaire à leur confort, car un personnel dévoué se mit aussitôt en devoir de les servir comme s’ils étaient de la noblesse. Et Corneille décida, puisqu’il dormait au lit de sa maîtresse, de s’afficher en époux davantage qu’en valet.
— C’est impossible, lui fit remarquer Mary. Que tu te comportes comme tel aux regards des domestiques de cette maison me semble normal. Je ne peux pas m’afficher à la cour en étant mariée.
— Et pourquoi donc, puisque même le roi et lord Mel-fort le pensent ? grinça Corneille, se doutant bien pourtant de la vérité.
Il n’en pouvait plus cependant, refusant de se mentir davantage. Il aimait Mary comme jamais aucune autre avant elle et souffrait de la voir s’obstiner dans ses prétentions ridicules quand leur complicité à tous deux était évidente.
— Cela pourrait nuire à mes projets futurs de riches épousailles, lâcha-t-elle, se défendant de saisir ce que les arguments de Corneille sous-entendaient.
Cette fois, Corneille en eut assez. Assez de la regarder se parer et se poudrer, jouer un jeu mondain dans lequel elle n’était pas à sa place, prendre des poses devant le miroir pour trouver son profil ou tel penchement de tête qui la mettrait en valeur et la fasse désirer. Assez de faire semblant d’être indifférent à ses hommes qui lui faisaient leur cour, assez d’être méprisé pour respecter
Weitere Kostenlose Bücher