Les valets du roi
au flanc de leurs montures dans l’espoir de trancher les bourses pendues à leurs ceintures.
Il arrêta son cheval à l’intérieur d’une cour carrée, joliment agrémentée de jardinières et d’un puits. Le porche de la maison croulait sous le poids d’une clématite, et la femme qui s’avança en haut du perron sembla à Mary aussi avenante que la façade de cette maison de deux étages. Ils se dirigèrent vers l’écurie à gauche et confièrent leurs chevaux aux bons soins d’un palefrenier.
Marguerite Tursan s’essuya les mains à son tablier en fronçant les sourcils tandis que Corneille et Mary la rejoignaient. Le reconnaissant enfin, elle s’exclama :
— Philippe, Seigneur Dieu, est-ce bien toi ?
L’instant d’après, ils s’étreignaient avec chaleur et Mary se trouvait surprise de ce prénom que Corneille n’avait jamais porté. Elle s’avança vers eux alors que Corneille et sa tante s’écartaient l’un de l’autre.
— Tante Marguerite, voici Mary.
— Mary ? répéta Marguerite en plissant le front, détaillant les atours du matelot avec méfiance.
— C’est une longue histoire, enchaîna Corneille. Te reste-t-il un meublé que nous puissions te louer ?
— Hélas…
— Pas même une chambre ?
— Si seulement j’avais été avertie, plaida-t-elle.
Elle parut réfléchir un moment, puis son visage s’éclaira.
— Il y a bien un petit appartement en travaux, mais il ne sera pas prêt avant dix jours, à moins que tu ne nous aides ? Jusque-là, vous devrez vous accommoder de l’ancienne chambre de Denis. Aujourd’hui, c’est devenu une réserve, mais par ces temps, elle est si peu garnie que deux paillasses y prendront place sans peine. J’aurais voulu vous offrir mieux, mes enfants, mais soyez néanmoins les bienvenus. Avez-vous soupé ? continua-t-elle en enroulant ses bras autour des épaules de Mary, l’œil au diapason avec son sourire, aussi mutin et rieur que celui de Corneille.
Comme elle l’invitait à la précéder, Mary l’entendit chuchoter à Corneille :
— Ta mère aurait pu m’écrire que tu t’étais marié. De quoi ai-je l’air, moi, devant ton épouse ?
A sa grande surprise, Corneille se contenta de rire et de la biser.
— Ne t’inquiète de rien, Mary ne prête aucune importance à ces détails.
Devant une soupe claire composée d’un peu de viande bouillie, de chou et de raves, Corneille expliqua à sa tante que Mary était anglaise, catholique et profondément attachée à son roi en exil, au point d’avoir offert ses services pour l’aider à reprendre un jour ce trône d’Angleterre usurpé par son beau-frère Guillaume d’Orange. Marguerite hocha la tête, l’œil brillant. La ferveur patriotique de Mary la toucha. Elle lui posa mille questions auxquelles Mary prit plaisir à répondre.
— Et vous avez croisé le fer contre les vôtres ? s’exclama Marguerite en portant de saisissement sa main sur son cœur, comme Corneille lui avouait la part que Mary avait prise aux abordages.
— Hélas ! madame, s’entendit répondre celle-ci avec sincérité, cette guerre est injuste. Ami ou ennemi, seule compte la survie au moment du combat.
Marguerite l’approuva en se signant avec toute l’élégance de ses belles mains blanches.
Ils devisèrent encore une bonne heure.
Elle leur confessa combien son époux lui manquait depuis qu’il s’était rompu le cou en tombant du toit pour y changer quelques tuiles. Fort heureusement, il s’était trouvé Thomas, ce jeune Anglais, qui l’aidait à entretenir cette demeure contre une chambre et le couvert. Reprenant l’idée de son époux qui avait vendu son commerce pour acquérir cette demeure, ils avaient fini d’aménager six meublés et trois chambres pour répondre à la demande des jacobites que Saint-Germain-en-Laye ne contenait plus. Elle vivait désormais correctement de leurs loyers, satisfaite de leur compagnie discrète.
Elle demanda des nouvelles de sa sœur, la mère de Corneille, qu’elle n’avait pas revue depuis dix longues années, et leur apprit que son fils, Denis, se battait dans les Flandres avec l’armée du roi Louis le quatorzième. Ils s’activèrent ensuite à installer leur campement, ravis d’avance de rencontrer Thomas, qui devait revenir le lendemain d’un petit voyage à Calais. Mary et Corneille se retrouvèrent seuls et, comme ces autres nuits, Mary se laissa enlacer.
— Philippe… laissa-t-elle
Weitere Kostenlose Bücher