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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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toujours contentés de chaparder chez les marchands et les
bonimenteurs de leur misérable voisinage ; ils dépouillaient de petits
négociants presque aussi pauvres qu’eux, dont les biens méritaient à peine
d’être volés. Je guidai les enfants vers mon quartier, plus riche, où les
marchandises en vente étaient de bien meilleure qualité. Une fois arrivés là,
nous imaginâmes une façon de voler plus efficace que la simple technique du vol
à l’arraché.
    La Merceria est la plus large, la plus droite et la
plus longue rue de Venise ; c’est du reste la seule qui puisse mériter ces
trois adjectifs. De chaque côté s’alignent des échoppes ouvertes ; entre
elles, de longues rangées d’étals et de charrettes font des affaires peut-être
encore plus florissantes, vendant de tout, de la mercerie aux sabliers, et
toute la gamme des produits d’épicerie, des denrées de base aux mets les plus
délicats.
    Imaginez que nous ayons repéré, sur l’éventaire d’un
boucher, un plateau de côtelettes de veau qui mettaient l’eau à la bouche aux
enfants. L’un des garçons, nommé Daniele, était notre coureur le plus rapide.
C’était donc lui qui se frayait un chemin à coups de coude jusqu’à l’étal, se
saisissait d’une poignée de côtelettes et partait en courant, manquant
d’assommer une petite fille qui avait eu le tort de se mettre dans son passage.
Daniele continuait de courir, stupidement en apparence, le long de cette large
rue droite et ouverte qu’était la Merceria, où il demeurait bien visible et
facile à pourchasser. Ce qui poussait bien sûr le garçon boucher et deux ou
trois clients outragés à lui courir après, en hurlant «  alto ! » et «  salva ! » ou encore « au voleur ! ».
    Mais la fille bousculée n’était autre que notre Doris,
et Daniele avait profité de ce moment de confusion pour lui refiler d’un geste
vif les côtelettes dérobées. Vite oubliée dans la bousculade, Doris s’éclipsait
en un éclair par l’une des allées étroites et sinueuses qui menaient hors de la
zone commerçante. Pendant ce temps, la course de Daniele étant quelque peu
entravée par la foule des acheteurs, il se retrouvait bientôt en grand danger
d’être capturé. Ses poursuivants s’étant rapprochés tout près de lui, d’autres
passants tentaient de le ceinturer, et tous braillaient, appelant à l’aide un sbiro. Les sbiri sont les policiers de Venise – de vrais gorilles. L’un
d’entre eux, répondant aux appels, fendait la foule en diagonale pour
intercepter le voleur. Mais j’étais alors dans le coin, car je m’arrangeais
toujours pour me trouver où il le fallait dans ce genre de situation. Daniele
stoppait sa course, et je lançais la mienne, focalisant sur moi l’attention
générale et devenant le gibier, avant d’aller me jeter délibérément entre les
bras simiesques de l’agent.
    Après m’être fait copieusement souffleter les
oreilles, j’étais reconnu, comme il fallait s’y attendre. L’agent et les citoyens
en colère me traînaient jusque chez moi, non loin de la Merceria. Lorsqu’on
avait frappé au portail d’entrée, le pauvre majordome Attilio venait ouvrir.
Contraint d’écouter jusqu’au bout le concert d’accusations et de condamnations,
il appliquait d’un air las l’empreinte de son pouce sur un paghero, qui
est une reconnaissance de dette, après quoi, dans la foulée, la maison Polo
était mise en demeure de rembourser le préjudice subi par le boucher. Le
policier, après m’avoir infligé une sévère admonestation et m’avoir
sérieusement secoué, finissait par lâcher mon col, et la foule se dispersait.
    Bien que je n’aie pas eu à m’interposer de la sorte à
chaque fois que les enfants du port volaient quelque chose (le plus souvent, la
manœuvre était adroitement exécutée, le voleur et le receleur parvenant tous
deux à prendre la poudre d’escampette), je n’en fus pas moins traîné à la Casa
Polo plus de fois que je ne puis m’en souvenir. Ce qui ne contribua pas à
modifier l’opinion de maître Attilio : tante Julia avait bien élevé le
premier mouton noir de toute la lignée des Polo.
    On aurait pu imaginer que ces gamins du port
nourriraient une relative hostilité envers la participation d’un « gosse
de riches » à leurs fredaines et qu’ils vivraient mal mon implicite « condescendance »
à leur offrir des cadeaux. Il n’en fut rien. La populace a beau admirer,

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