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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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par fragments, le frère et la sœur me
prodiguaient cet apprentissage. Chaque fois qu’Ubaldo m’accusait de retard
mental ou se moquait d’une perplexité de ma part, je savais qu’il me manquait
une petite miette de savoir, et Doris y suppléait gentiment.
    Un jour, je m’en souviens, Ubaldo déclara qu’il s’en
allait vers le quartier ouest de la ville et qu’il allait emprunter, pour ce
faire, le « bac des chiens ». N’ayant jamais entendu parler de ce
mystère, je l’accompagnai dans l’espoir de le percer à jour. Nous traversâmes
pourtant le Grand Canal par le pont du Rialto de la façon la plus ordinaire qui
fût, et je dus avoir l’air tellement désappointé ou mystifié qu’il se gaussa en
disant :
    — Ma parole, mais tu es plus ignorant qu’une
pierre angulaire !
    Ce fut Doris qui m’expliqua :
    — Il n’y a qu’une façon, en venant de l’est, de
gagner l’ouest de la ville, n’est-ce pas ? C’est de traverser le Grand
Canal. Vu qu’ils chassent les rats, les chats sont tolérés sur les
bateaux ; mais les chiens, eux, ne le sont pas. Comme ils ne peuvent
franchir le canal que par le pont du Rialto, c’est donc le bac des chiens, tu
percutes ?
    C’était plus facile pour certaines expressions de leur
jargon des rues, que je parvenais à traduire sans aide. Ils désignaient un
prêtre ou un moine du nom de rigioso, ce qui pourrait se traduire par
« bêta », mais je compris vite, en fait, qu’ils contractaient tout
simplement le mot religioso. Lorsque l’été, par très beau temps, ils
annonçaient qu’ils quittaient le chaland de remorquage pour la Locanda de la
Stela, je savais qu’ils ne s’offriraient pas un séjour dans un hôtel quatre
étoiles ; ils voulaient juste dire qu’ils passeraient la nuit à la belle
étoile. Lorsqu’ils parlaient d’une personne du sexe féminin comme d’une largazza, c’était par jeu de mots avec le terme ordinaire de ragazza, mais
avec ce sous-entendu grivois que son ouverture intime était ample, voire
caverneuse. En réalité, la majeure partie du langage des gens des bateaux (tout
comme leurs conversations et leurs centres d’intérêt) tournait autour de ces
sujets indélicats. J’absorbai une grande quantité d’informations, mais parfois,
il me faut bien l’admettre, j’en ressortais plus embrouillé qu’éclairé.
    Tante Julia et frère Evariste m’avaient enseigné qu’il
convenait de désigner les parties intimes (si tant est que j’aie à m’y référer)
par le vergogne, autrement dit « les parties honteuses ». Sur
les docks, j’entendis bien d’autres termes. Le mot coquin pour l’appareil
génital masculin était assez clair, et candelòto, qui veut dire
« solide chandelle », me paraissait apte à désigner un sexe en
érection ; de même, que fava désignât l’extrémité protubérante de
cet organe qui ressemble en effet à un gros haricot ou à une fève me paraissait
couler de source. Que l’on qualifiât de capela le prépuce me semblait
également logique, cette enveloppe de peau entourant la fava à la façon
d’un vestiaire ou d’une petite chapelle. Mais un mystère subsistait dans mon
esprit concernant le mot lumaghèta, qui évoquait les parties intimes
féminines. J’avais compris qu’une femme n’avait rien d’autre là en bas qu’une
ouverture, et le mot lumaghèta peut désigner soit un petit escargot,
soit la minuscule molette avec laquelle le ménestrel règle les cordes de son
luth.
    Un jour qu’Ubaldo, Doris et moi étions en train de jouer
sur les docks, un marchand de primeurs arriva en poussant sa charrette le long
de l’esplanade, attirant à grands pas un essaim de femmes des bateaux
désireuses de tripoter sa marchandise. Lorsque l’une d’elles se mit à caresser
un grand concombre jaunâtre, grimaçant de toutes ses dents et murmurant d’un
air entendu aux autres femmes qui gloussaient lascivement : «  Il mescolòto ! » (« l’excitateur »), je n’eus aucun mal
à saisir les implications de la situation. Mais là-dessus, deux souples jeunes
gens s’approchèrent en flânant nonchalamment le long de l’esplanade, bras
dessus bras dessous, avançant avec une certaine flexibilité dans la démarche,
et l’une des femmes des bateaux ronchonna :
    — Tiens ! Don Meta et Sior Mona.
    Une autre regarda le plus fluet avec dédain et
susurra :
    — Celui-là doit avoir le conduit proprement
déchiré, sous ses chausses.
    Je

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