Les voyages interdits
frère sera parti, que va-t-il advenir de toi ?
— Quelle importance ? Je ne suis qu’une
fille !
— Peut-être, mais d’une beauté remarquable. Comme
Aziz, tu pourras certainement t’offrir à ton tour, un jour, un sort
enviable : un heureux mariage, un agréable concubinage, qu’importe, ce qui
te conviendra le mieux. Et je sais toute la valeur de la virginité d’une femme
pour son avenir. C’est pourquoi je ne te toucherai pas.
Elle et Aziz m’observèrent avec stupéfaction, et
l’enfant murmura :
— Décidément, ces chrétiens sont divanè...
— Peut-être, pour certains ! Mais d’autres
peuvent avoir envie de se conduire en véritables chrétiens.
Le regard de Sitarè s’adoucit quelque peu, et elle
acquiesça d’une voix tendre :
— Peut-être certains y parviennent-ils
vraiment... (Mais soudain, de nouveau provocante, elle écarta les vêtements qui
faisaient écran à son corps de rêve.) Tu es bien sûr de vouloir renoncer ?
Seras-tu inébranlable dans cette généreuse résolution ?
Je fus secoué d’un éclat de rire.
— Pas ferme du tout, non. Et, pour cette raison,
laisse-moi partir d’ici sans délai. Je consulterai mon père et mon oncle sur la
possibilité de prendre Aziz avec nous.
La consultation ne fut pas bien longue, car tous deux
se trouvaient dans l’étable, justement en train d’en parler.
— Bon, résuma mon oncle à l’intention de mon
père, voici que Marco est également favorable à ce que nous emmenions le petit.
Cela fait deux votes pour, contre un vote indécis.
Mon père fronça les sourcils et passa ses doigts dans
sa barbe.
— Nous accomplirons une bonne action, plaidai-je.
— Comment pourrions-nous lui refuser ce
service ? insista mon oncle.
Pour toute réponse, mon père grommela l’un de ses
fameux vieux dictons :
— Sainte Charité est morte, et sa fille Clémence
est au plus mal... À quoi mon oncle répliqua par cet autre :
— Cesse de croire aux saints, ils cesseront de
faire des miracles. Ils se jaugèrent alors dans un silence qui semblait une
impasse, jusqu’à ce que je m’aventure à le rompre.
— J’ai déjà averti le jeune homme du danger qu’il
courait d’être importuné !
Ils tournèrent en même temps leur regard vers moi,
stupéfaits.
— Vous voyez ce que je veux dire...,
bredouillai-je, pas très à mon aise. Cette fâcheuse propension qu’a Narine à se
conduire de façon plutôt, euh... polissonne.
— C’est vrai ! reconnut mon père. Il y a
cela, aussi.
Je fus soulagé qu’il n’eût pas l’air de prendre trop
au sérieux ce risque, car je me voyais mal être obligé de livrer des détails
salaces sur les derniers exploits de Narine, ce qui lui aurait probablement
valu une bonne raclée.
— J’ai fait promettre à Aziz, ajoutai-je, de se
tenir sur ses gardes contre toute avance suspecte. Et je me suis engagé à
veiller sur lui. Pour son transport, le chameau de bât est loin d’être chargé à
fond, et l’enfant est léger. Sa sœur nous autorise à empocher l’intégralité de
la somme qu’on nous en offrira, et ce pourrait être un juteux bénéfice. Pour ma
part, je pense plutôt que nous devrions retirer de la vente le coût de son
acheminement jusque là-bas et lui laisser le reste. Une sorte de legs qui lui
permettrait de se lancer une fois que nous serons partis.
— Eh bien, c’est parfait, non ? reprit mon
oncle, se grattant de nouveau l’intérieur du coude. Le garçon a une monture, un
ange gardien pour le protéger, paie sa place jusqu’à Mechhed et s’assure
lui-même sa propre dot. Que pourrions-nous objecter à ce plan ?
Mon père s’exprima solennellement :
— Si nous prenons l’enfant, Marco, il sera sous
ta responsabilité. Peux-tu te porter garant de sa sécurité ?
— Oui, mon père, dis-je d’une voix ferme. (Et je
posai la main sur mon couteau de ceinture, l’air farouche.) Celui qui voudra
s’attaquer à lui devra d’abord me passer sur le corps.
— Tu as bien entendu, Matteo.
Je sentis distinctement, à la façon dont mon père
prenait ainsi mon oncle à témoin, toute l’importance de mon engagement.
— J’ai entendu, Nico.
Mon père soupira, nous regarda l’un après l’autre, se
frotta encore la barbe d’un air songeur et lâcha :
— Alors, il vient avec nous. Va, Marco, tu peux
aller le lui annoncer. Demande à sa sœur et à la veuve Esther de préparer les
bagages qu’il devra
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