Les voyages interdits
à Kachan, l’un de ses
congénères avait apparemment décidé de le venger. Chaque fois que le chameau de
Narine faisait un faux pas et le secouait d’un cahot, il émettait un
gémissement aigu. Bientôt, il eut rembourré sa selle de tout ce qu’il avait pu
trouver de doux et de moelleux dans nos sacs. Malgré cela, à chaque fois qu’il
s’éloignait du campement pour uriner, nous l’entendions grogner, se débattre et
jurer frénétiquement.
— L’un des garçons de Kachan a dû lui flanquer la
chaude-pisse, commenta oncle Matteo, le sourire aux lèvres. Que ça lui serve de
leçon ! Ça lui apprendra à faire preuve d’un peu plus de décence et de
discernement.
Je n’avais pas encore été, à cette époque – et ne l’ai
du reste jamais été depuis –, victime de ce genre d’infection, et je dois
d’ailleurs en remercier le hasard plus que ma décence ou mon discernement. Il
n’en reste pas moins que j’aurais sans doute moins ri de Narine et fait preuve
à son endroit d’un peu plus de sollicitude et de camaraderie, eu égard à sa
situation difficile, si je ne m’étais pas autant réjoui que son zab lui
causât d’autres préoccupations que celles d’aller s’introduire dans mon jeune
protégé. Le mal dont souffrait l’esclave finit par se résorber et disparaître,
le laissant apparemment apte à réitérer l’expérience, mais, à ce moment,
d’autres événements s’étaient produits qui devaient mettre Aziz hors de portée
de sa lubricité.
Dans le Dasht-e-Kavir, une tente ou toute autre sorte
d’abri est absolument nécessaire au voyageur, qui ne pourrait dormir seulement
enroulé dans ses couvertures sans risquer de périr enseveli sous le sable au
cours de son sommeil. La plus grande partie de ce désert peut se comparer au
plateau géant d’un monstrueux diseur de bonne aventure. C’est une étendue
plate, couverte d’un sable brun foncé si fin qu’il s’écoule entre les phalanges
comme de l’eau. Entre deux bourrasques de vent, ce sable repose sur le sol,
vierge de toute marque, comme celui du fardarbab sur son plateau. Il est
si poudreux et évanescent que le moindre insecte qui y passe – mille-pattes,
sauterelle ou scorpion – imprime une trace visible de loin. N’importe quel
voyageur du désert, abruti par la monotonie de sa marche, aurait pu s’en
distraire en poursuivant la trajectoire vagabonde d’une simple fourmi.
Cependant, il était bien rare que, de jour, le vent ne
se levât pas tôt ou tard, remuant ce sable, l’élevant dans les airs, le
transportant sur de longues distances et vous le jetant au visage. Comme le
vent, sur le Dasht-e-Kavir, ne souffle jamais que du sud-ouest, il est facile
de dire d’un étranger qui le traverse d’où il vient, même si vous le rencontrez
au campement ou immobile. Il suffit pour cela de regarder quel flanc de sa
monture est le plus lourdement couvert de ce sable emporté par le vent. Le
soir, quand le vent s’apaise, les particules les plus lourdes de sable tombent
du ciel. Les plus fines demeurent telle une poussière en suspension, si dense
qu’elle constitue un épais brouillard sec. Celui-ci avale la clarté de toute
étoile qui brille dans le ciel, et même la pleine lune ne peut le percer
totalement. Lorsque ce brouillard se conjugue à l’obscurité nocturne, la
visibilité se réduit à moins d’une longueur de bras. Narine nous conta que des
créatures appelées Karauna tiraient parti de cet aveuglement – que,
selon la légende, nous dit l’esclave, elles savaient créer par la puissance de
leur seule magie noire – pour donner libre cours à de sombres desseins. De
façon plus concrète, le principal danger de ce brouillard était que les fines
particules suspendues dans les airs, comme tombées d’un tamis invisible, ne se
déposent durant le calme de la nuit sur le voyageur non abrité par une tente,
le couvrant ainsi, inexorablement, d’un fin linceul qui l’ensevelirait vivant
pendant son sommeil.
Bien qu’il nous restât encore la plus grande partie de
la Perse à traverser, c’était sa portion la plus vide – peut-être la plus
désertique de toute la planète. Nous ne rencontrâmes pas un Persan sur tout
notre parcours, pas plus qu’un être vivant plus significatif que de très rares
insectes. Dans n’importe quelle autre région du pays, tout aussi inoccupée et
dénuée de cultures, les voyageurs que nous étions se seraient tenus sur leurs
gardes contre des
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