Les voyages interdits
froidure...
— Oui, il devait bien se douter qu’ils allaient
la piller à un moment ou à un autre.
— Il a donc dû trouver refuge dans un coin plus
sûr.
— Si ça se trouve, il a rampé dans les parages,
pour voir s’il pourrait nous aider.
— De toute façon, il devait être à découvert
quand les Karauna ont fui.
— Et l’apercevant, ceux-ci l’auront emporté avec
eux.
— À la première occasion, ils le tueront.
C’était oncle Matteo qui avait émis cette dernière
remarque, d’un ton particulièrement affligé.
— Et ils le tueront de la façon la plus bestiale,
car ils doivent être fous furieux, persuadés que nous leur avons volontairement
tendu une embuscade.
— Ilsn’en auront pas le temps. Les Mongols sont
sur leurs talons.
— Non, les Karauna ne vont pas tuer
l’enfant : ils vont s’en servir comme d’un otage. Un bouclier pour tenir à
distance les Mongols.
— Soit... En admettant même que les Mongols
restent à distance – ce qu’ils ne feront pas –, reprit mon oncle, imaginez seulement
ce que les Karauna vont pouvoir faire subir à ce pauvre enfant.
— Ne pleurons pas avant d’avoir mal, tempéra mon
père. Quoi qu’il advienne, nous devons faire face. Narine, tu restes ici.
Matteo et Marco, en selle !
Nous assenâmes à nos chameaux des coups de bâton.
Comme nous ne les avions jamais, jusque-là, pressés de la sorte, ils ne
songèrent pas un instant à se récrier ni à se plaindre, adoptant immédiatement
un galop élastique et leste qu’ils gardèrent sans sourciller. Les cahots ainsi
engendrés firent cogner ma tête sur l’arête supérieure de ma colonne
vertébrale, mais je ne me plaignis pas.
Sur le sable, les chameaux sont bien plus rapides que
les chevaux, aussi rejoignîmes-nous les Mongols avant l’aube. Nous les aurions
de toute façon croisés, car ils étaient en train de rentrer d’un pas tranquille
vers l’oasis. Le brouillard sec étant alors tombé, nous les aperçûmes à quelque
distance, à la lueur des étoiles. Deux d’entre eux tiraient à pied leurs
chevaux, supportant le troisième sur sa selle, qui semblait grièvement blessé.
Les deux qui marchaient nous crièrent quelques mots, tandis que nous approchions
d’eux, et agitèrent les mains comme pour nous montrer l’endroit d’où ils
arrivaient.
— Miracle ! L’enfant est vivant !
s’exclama mon père, et il fouetta son chameau.
Nous ne prîmes pas le temps de nous arrêter pour
parler aux Mongols, mais continuâmes d’avancer jusqu’à ce que nous distinguions
au loin un éparpillement obscur, jonchant le sol sans mouvement. Les cadavres
des sept Karauna gisaient là au milieu de leurs chevaux morts, férocement
entaillés et transpercés de flèches, certains étendus séparément de leur main
droite qui avait été tranchée. Mais nous n’y prêtâmes même pas attention. Aziz
était assis dans le sable, au milieu de la large flaque de sang laissée par
l’un des chevaux, le dos appuyé sur sa selle. Il avait enveloppé son corps nu
d’une couverture tirée du panier de selle, elle-même maculée de sang. Nous
sautâmes à bas de nos chameaux avant même qu’ils aient fini de s’agenouiller et
courûmes vers lui. Oncle Matteo, le visage baigné de larmes, caressa avec
effusion les cheveux de l’enfant, mon père lui tapota l’épaule, et tous,
soulagés, l’entourâmes d’exclamations stupéfaites :
— Tu es sain et sauf !
— Loué soit san Zudo le généreux, d’avoir permis
l’impossible.
— Que t’est-il arrivé, mon cher Aziz ?
De sa petite voix d’oiseau, d’un ton plus calme qu’à
l’ordinaire, il répondit :
— Ils n’arrêtaient pas de me repasser de l’un à
l’autre, tandis que nous galopions, chacun prenant son tour, afin qu’ils
n’aient pas à ralentir leur avance.
— Tu n’es pas blessé ? s’enquit mon oncle,
anxieux.
— Non. J’ai juste un peu froid..., déclara Aziz,
vidé de toute énergie.
En effet, même sous sa couverture élimée, il
grelottait et tremblait de tous ses membres. Oncle Matteo semblait toujours
inquiet.
— Ils n’ont pas cherché à... abuser de toi ?
Je veux dire... de là ? Et il indiquait, par-dessus la couverture,
l’entrejambe du garçon.
— Non, ils n’ont rien fait de tel. Ils n’en
avaient pas le temps. Et ils étaient trop affamés, je pense. Et soudain, les Mongols
les ont rattrapés. Plissant son front pâle comme s’il allait
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