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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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les perdrix avaient, pour les femmes Kalash et Hunzukut, une
utilité particulière.
    Elles récupéraient les pattes de ces volatiles,
gardant leur chair pour la cuire, et les brûlaient sur des braises jusqu’à en
obtenir une poudre de couleur pourpre. Celle-ci était ensuite utilisée, comme
le font avec le khôl un grand nombre d’Orientales, comme cosmétique, dans le
but de souligner le contour des yeux pour les mettre en valeur. Les femmes
Kalash s’enduisaient également le visage d’une crème extraite des graines
jaunes d’une fleur appelée bechu, et, je peux l’attester, voir un visage
briller ainsi d’un jaune vif, à l’exception des deux grands yeux pourpres, est
incontestablement un spectacle qu’il faut avoir admiré. Les femmes devaient
sans doute penser que ce maquillage les rendait irrésistibles sur le plan
sexuel, puisque leur autre ornement préféré était un bonnet, ou une capuche,
constitué d’innombrables petits coquillages appelés kauris, dont la
coquille imite à la perfection, au dire de tous, la forme du sexe féminin.
    En parlant de cela, je ne fus pas fâché d’apprendre
que Buzai Gumbad proposait une autre possibilité, en guise de pratique
sexuelle, que le viol en état d’ébriété, la sodomie ou l’adultère et ses
horribles conséquences éventuelles. Ce fut Narine qui la flaira, après avoir
flâné librement un jour ou deux dans le village. Comme il l’avait fait à Balkh,
il me prit à part pour me livrer, avec sa sincérité coutumière, le profond
dégoût que lui avait inspiré une récente découverte :
    — Il s’agit cette fois d’un infect Juif, maître
Marco. Il occupe le bâtiment du caravansérail le plus proche du lac. Pour
donner le change, il s’annonce en façade comme une minable boutique d’affûtage
de couteaux, épées et autres outils. Mais, à l’arrière, il possède plusieurs
prostituées de races et de couleurs variées. En bon musulman que je suis, je
devrais immédiatement dénoncer ce charognard perché sur le Toit du monde, mais
je ne le ferai que si vous me le demandez, après avoir jeté un œil chrétien sur
l’établissement.
    Je lui promis d’aller inspecter les lieux, mais je ne
le fis que quelques jours plus tard, lorsque nous fumes convenablement
installés. À l’entrée de la boutique, un homme voûté était assis, frottant une
faux sur une meule actionnée au pied. S’il n’avait pas été coiffé de la kippa,
il aurait eu l’air d’un gros ours en peluche, car son visage était couvert de
barbe, et ses nattes et favoris semblaient vouloir se perdre dans le grand
manteau de fourrure qu’il portait. Je notai qu’il s’agissait d’un coûteux
modèle en karakul, vêtement un peu trop élégant pour le modeste affûteur de
couteaux qu’il prétendait être. J’attendis une pause dans le tournoiement
crissant de la pierre à meuler et la pluie d’étincelles qui en jaillissait.
Puis j’annonçai, suivant le conseil de Narine :
    — J’ai un outil spécial à faire affûter et
graisser.
    L’homme leva la tête, et je clignai des yeux. Ses
cheveux, ses sourcils et sa barbe ressemblaient à une moisissure rouge et
bouclée tirant sur le gris, ses yeux avaient la couleur des mûres, et son nez
était taillé en lame de cimeterre.
    — Un dirham, dit-il, ou vingt shahis de cuivre,
ou cent coquilles de kauris. Les étrangers qui viennent pour la première fois
paient d’avance.
    — Mais je ne suis pas un étranger !
répliquai-je avec chaleur. Vous ne me reconnaissez pas ?
    Avec une froideur équivalente, il rétorqua :
    — Je ne connais personne. C’est la condition pour
continuer d’exercer mon métier, en cette ville corrompue et violente, aux lois
contradictoires.
    — Mais je suis Marco !
    — Ici, tu ne donnes ton nom que lorsque tu
enlèves ton pantalon. Si je venais à être questionné par un mufti un brin
soupçonneux, je lui répondrais à bon droit que je ne connais que mon prénom, en
l’occurrence Shimon.
    — Le tsaddik Shimon ? demandai-je
avec impudence. L’un des Lamed-Vav ? Ou les Trente-Six à la
fois ?
    Il sembla mi-alarmé, mi-suspicieux.
    — Tu parles l’hébreu ? Tu n’es pas Juif,
pourtant ! Que sais-tu au juste des Lamed-Vav ?
    — Seulement que j’ai l’impression de les
rencontrer souvent... (Je soupirai.) Une femme nommée Esther m’a dit comment on
les appelle et le rôle qu’ils jouent.
    Il prit un air dégoûté.
    — Elle ne doit pas

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