Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
Vom Netzwerk:
à jamais gravée dans mon apprentissage de cet art.
    La première fois que je la vis exécuter, c’était par
un Kalash qui avait comparu devant la cour de justice de Buzai Gumbad, accusé
d’avoir volé un jeu de clochettes à chameaux à l’un de ses voisins. Lorsqu’il
fut acquitté pour manque de preuves, le groupe Kalash au grand complet résolut
de fêter cela et organisa un concert assez braillard de flûtes rythmé de
battements de tisonniers et de tambourins. L’homme commença alors à danser un luddi plein de mouvements, de lancers de bras battant l’air, avant d’être rejoint
par toute sa famille. Je vis bientôt celui à qui l’on avait dérobé les
clochettes, un autre Kalash, se lancer à son tour dans un luddi effréné.
La cour, n’ayant pas retrouvé les clochettes ni pu confondre le coupable, avait
ordonné une collecte parmi tous les membres de la communauté incriminée pour
indemniser la victime. La somme réclamée à chacun se réduisait à quelques
modestes pièces de cuivre, mais le total rassemblé s’avéra couvrir très
largement la valeur des clochettes perdues. Et, dès que l’homme fut entré en
possession de cette somme, l’ensemble du contingent Kalash décida d’organiser
cette fête bon enfant, en y incluant le bandit accusé mais acquitté qui, nous
l’avons vu, s’était mis à danser le luddi. J’appris plus tard que c’est
une coutume Kalash que l’on réserve, chez ce peuple irascible, pour fêter la
résolution d’un litige. Je rêve que l’on introduise cette danse de
réconciliation dans la procédurière Venise.
    J’estimai que, dans le cas présent, la cour avait
rendu un jugement équitable et agi sagement, compte tenu du caractère délicat
de l’affaire. Elle fit de même, je pense, pour tous les problèmes qu’elle eut à
trancher. Parmi tous ces peuples rassemblés à Buzai Gumbad, il ne s’en trouvait
probablement pas deux qui fussent habitués à respecter (ou à désobéir) au même
code de lois. Le viol en état d’ébriété semblait, chez les Rusniaques
nestoriens, un fait assez banal. Chez les Arabes musulmans, c’était pour la
sodomie que l’on manifestait cette indulgence, alors que ces deux pratiques
étaient considérées avec la même horreur par les Kalash, païens et irréligieux
en diable. Le larcin était, pour les Hindous, une simple façon de se
débrouiller pour vivre, et cette faute était absoute avec tolérance par les
Bho, pour lesquels un bien, s’il n’est pas attaché, n’appartient à personne. À
l’opposé, chez les Tadjiks, gens crasseux mais honnêtes, le vol était envisagé
comme un acte criminel. Les membres de la cour composite disposaient donc d’une
marge de manœuvre plutôt réduite s’ils voulaient dispenser des jugements
acceptables sans insulter les coutumes établies de tel ou tel groupe. Parfois,
du reste, les affaires examinées étaient autrement plus graves que celle des
clochettes à chameau volées.
    On parlait encore de l’une d’elles qui avait été jugée
avant notre arrivée sur les lieux. Chacun en refaisait le récit, discutait les
attendus, argumentait sans fin sur la question. Un vieux marchand arabe avait
accusé la plus jeune et la plus avenante de ses quatre épouses de l’avoir
abandonné et de s’être enfuie dans la tente d’un jeune et beau Rusniaque. Le
mari outragé ne demandait pas son retour. Il exigeait seulement qu’elle et son
amant fussent condamnés à mort. Le Rusniaque soutenait de son côté que, d’après
les lois de son pays, la femme était un gibier comme un autre, qui appartenait
à celui qui s’en était emparé. De plus, ajoutait-il, il l’aimait. La femme
infidèle, une jeune Kirghize, plaidait quant à elle qu’elle avait trouvé son
mari légitime répugnant, en ce qu’il ne l’avait jamais prise autrement qu’à
l’infecte façon des Arabes, c’est-à-dire par-derrière. Elle s’était donc
octroyé le droit de changer de partenaire, ne fut-ce que pour changer de
position. Mais, à côté de tout cela, précisait-elle, elle était vraiment
amoureuse du Rusniaque. Je demandai à notre tenancier Iqbal de nous expliquer
comment la cour s’en était sortie. (Étant en effet l’un des rares habitants
permanents de Buzai Gumbad, qui plus est l’un de ses citoyens éminents, il
était naturellement élu membre de toutes les cours.)
    Il haussa les épaules et déclara :
    — Dans tous les pays, quels qu’ils soient, un
mariage est

Weitere Kostenlose Bücher