Les voyages interdits
l’ascension des montagnes qui les entouraient sur trois
côtés du site. Or emprunter leurs passes conduirait à en gravir encore d’autres
situées derrière.
Que ce fût au nord, à l’est ou au sud, les passes ne
se départissaient jamais, même au cœur de l’été, de leur manteau de neige et de
glace. Aussi, nous autres Polo, censés voyager vers le nord et n’ayant pas
l’expérience de ce type de terrain, avions préféré attendre le départ d’autres
caravaniers plus avisés.
Peut-être aurions-nous même hésité plus longtemps que
de raison si, un jour, une délégation de petits Tamil Cholas basanés, ceux dont
je m’étais gaussé avant d’aller leur présenter mes excuses, n’était venue se
présenter à nous. Ils nous déclarèrent, dans un très mauvais farsi commercial,
qu’ils avaient renoncé à aller vendre leur cargaison de sel marin à Balkh, car
ils avaient appris de source fiable qu’ils en tireraient un bien meilleur prix
dans une ville du nom de Mourgab, cité commerçante du Tadjikistan sise sur la
route est-ouest reliant Kithai à Samarkand.
— Samarkand est située très au nord-ouest d’ici,
fit remarquer mon oncle.
— Oui, mais Mourgab se trouve plein nord, précisa
l’un des Cholas, un petit homme grêle nommé Talvar. C’est-à-dire sur votre
route, ô, Né-deux-fois. Quand vous y parviendrez, vous aurez traversé la plus
difficile zone de montagne, et le trajet sera plus aisé pour vous si vous vous
joignez à notre convoi. C’est pourquoi nous vous proposons humblement de vous
rallier à nous : si vous le souhaitez, vous êtes les bienvenus. Nous avons
été très favorablement impressionnés, sachez-le, par les bonnes manières du Né-deux-fois Saudara Marco ici présent et nous
voyons en vous d’agréables compagnons de piste.
Mon père, mon oncle et même Narine semblèrent
passablement éberlués de l’appellation « Né-deux-fois » ainsi que de
ces curieuses louanges décernées par de parfaits étrangers qui soulignaient mes
bonnes manières. Mais nous tombâmes tous d’accord pour accepter l’invitation
des Cholas. Nous leur exprimâmes nos remerciements et notre gratitude, et ce
fut avec leur convoi que nous prîmes à cheval la route menant de Buzai Gumbad
vers ces redoutables montagnes qui semblaient vouloir interdire sévèrement
toute progression vers le nord.
Comparé à certaines des caravanes du campement, fort
peuplées et équipées de centaines d’animaux, notre groupe formait un convoi
modeste. Les Cholas n’étaient en tout qu’une douzaine, des hommes seulement,
sans femmes ni enfants, et ne possédaient que six petits chevaux de selle
décharnés sur lesquels ils se relayaient, alternant ainsi les tours de monte et
de marche à pied. Leurs seuls véhicules étaient trois chariots à deux roues
branlants et délabrés, tirés chacun par un cheval attelé, tombereaux dans
lesquels ils transportaient le matériel de campement et de couchage, leur nourriture
et celle de leurs bêtes, une petite forge portative et tout l’équipement
nécessaire au voyage. Ils avaient convoyé leur cargaison de sel marin jusqu’à
Buzai Gumbad sur une trentaine d’ânes de bât, qu’ils avaient échangés sur place
contre une douzaine de yacks capables de porter le même poids mais mieux
adaptés à la voie septentrionale à venir.
Rien de tel qu’un yack pour ouvrir une piste. Comme
éclaireur, il n’a pas son pareil. Ceux des Cholas ne se souciaient ni de la
neige, ni du froid, ni de l’inconfort et, même lourdement chargés, ils
gardaient une étonnante sûreté de pas. Ainsi, tandis qu’ils progressaient
lentement en tête de colonne, non seulement ils dénichaient toujours la
meilleure piste, mais en marchant ils la dégageaient de sa neige, la rendant
plus sûre et ferme pour nos pieds qui les suivaient. Le soir, lorsque nous
installions le camp et les attachions tout autour, ils montraient aux chevaux
où gratter du sabot pour trouver les buissons ratatinés et miteux, mais
cependant comestibles, de la bursta qui avait subsisté de la dernière
saison de pousse.
J’imagine que les Cholas nous avaient invités à les
accompagner parce que nous étions des gens robustes, comparés à eux, du moins,
et ils avaient dû supposer que si nous devions rencontrer des bandits sur la
route de Mourgab, nous ferions d’acceptables combattants. Grâce à Dieu, nous
n’en croisâmes aucun, aussi nos muscles ne furent-ils pas mis à
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