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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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contribution
dans ce type d’activité. En revanche, ils firent la preuve de leur utilité lors
des fréquentes interventions nécessaires pour redresser un chariot renversé sur
la piste accidentée, sortir un cheval tombé dans une crevasse ou recharger un
yack dont une partie du bât se détachait lorsque la bête s’était faufilée de
trop près entre les rochers. Nous aidâmes aussi à la préparation des repas,
mais cela, nous le fîmes plus par intérêt personnel, il faut l’avouer, que par
la simple grâce de notre affabilité.
    La façon qu’avaient les Cholas de préparer la viande
était immuable : ils la trempaient dans une sauce de couleur grise à
consistance de mucus, composée de diverses épices fort relevées, qu’ils
appelaient le kàri. L’effet en était garanti : quoi que vous
mangiez, vous ne sentiez que le goût du kàri. Ce pouvait être parfois,
il faut l’admettre, une bénédiction, lorsque le plat consistait en un petit
morceau de viande séchée ou salée, ou lorsque son état était bien avancé sur la
voie de la putréfaction. Mais les non-Cholas que nous étions se fatiguèrent
vite de ne sentir que le goût du kàri et de ne jamais savoir si la
substance qui se cachait derrière était du mouton, de la volaille ou, ce qui
aurait très bien pu être, du foin. Nous demandâmes donc à nos compagnons
l’autorisation d’améliorer la sauce en y ajoutant un peu de notre safran,
condiment jusque-là inconnu des Cholas. Ils apprécièrent grandement ce goût
nouveau, ainsi que la jolie couleur fauve qu’elle donnait au kàri, et
mon père leur en offrit plusieurs bulbes à rapporter en Inde. Cependant,
lorsque même cette sauce améliorée commença de nous lasser, Narine, mon père et
moi décidâmes de nous porter volontaires comme cuisiniers et alternâmes avec
les Cholas la préparation des repas, tandis qu’oncle Matteo tirait de son sac
son arc et ses flèches pour nous approvisionner en gibier frais. Souvent, il
n’abattait que de petits animaux tels des lièvres des neiges ou des perdrix à
pattes rouges, mais il ramena aussi de temps à autre quelque morceau plus
conséquent, un goral ou un urial, et nous cuisîmes ces mets au naturel,
bouillis ou grillés, mais, Dieu merci, sans sauce.
    Hormis leur addiction au kàri, ces Cholas
étaient de bien braves compagnons de voyage. En fait, ils étaient si discrets,
si peu enclins à parler à moins qu’on ne leur adressât la parole et si
réticents à s’imposer que nous aurions pu cheminer jusqu’à Mourgab sans nous
rendre compte de leur présence. Leur timidité était compréhensible. Bien que
leur langue fut le tamoul, ils étaient de religion hindoue et venaient d’Inde,
aussi avaient-ils dû endurer, de la part de toutes les autres nations, le
mépris et la dérision qu’elles réservent à juste titre aux Indiens. Notre
esclave Narine était la seule personne non indienne que je connaisse à avoir
fait l’effort d’apprendre la langue hindi, mais il n’avait pas poussé jusqu’au
tamoul. Aucun d’entre nous ne pouvait donc converser avec les Cholas dans leur
langue, et leur maîtrise du farsi était plus qu’incertaine. Malgré tout, dès
qu’ils comprirent que nous n’avions pas l’intention de nous moquer d’eux
ouvertement en raison de leurs hésitations, ils devinrent presque trop
démonstratifs dans leurs témoignages d’affection et s’ingénièrent à nous faire
connaître des aspects intéressants du pays que nous traversions, dont beaucoup
pourraient nous être utiles.
    Cette terre est celle que la plupart des Occidentaux
ont baptisée la Tartarie et qu’ils considèrent comme la partie la plus
orientale du monde. Ce nom provient d’une double méprise. En effet, le monde
s’étend bien plus loin vers l’est que cette lointaine Tartarie, et ce nom même
est mal approprié. Dans le langage farsi des Persans, un Tatar est un
Mongol, et c’est à cette source que les Occidentaux ont puisé le mot. Lorsque
ces Mongols, appelés Tatars, se livrèrent au saccage jusqu’à atteindre les
frontières de l’Europe et à la faire trembler de terreur, il ne faut pas
s’étonner que l’on en soit venu à confondre le mot Tatar avec le nom de
Tartare donné aux régions infernales. De là provient l’abus de langage qui
consiste à parler, en Occident, des « Tartares de Tartarie », comme
on parlerait des « démons de l’enfer ».
    Cependant, même ces caravaniers orientaux

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