L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
docteur chante ! Une ode classique du docteur Sitgreaves !
Le docteur signifia son consentement en saluant ses compagnons à la ronde, et après avoir toussé deux ou trois fois par forme de préliminaire, au grand plaisir des jeunes cornettes qui étaient au bas bout de la table, il chanta d’une voix fêlée, en détonnant à chaque note, le couplet ci-après :
« La flèche de l’amour t’a-t-elle jamais blessée, ma chère ? as-tu exhalé son soupir tremblant ? as-tu songé à celui qui était bien loin, et qui était toujours présent à tes yeux brillants ? Alors tu sais ce que c’est que d’éprouver un mal que l’art de Galien ne peut guérir. »
– Hourra ! s’écria Lawton avec un transport affecté, Archibald éclipse les muses mêmes. Ses vers coulent avec la même douceur que le ruisseau qui serpente dans un bois à minuit, et sa voix est une race croisée du rossignol et du hibou.
– Capitaine Lawton, s’écria le chirurgien courroucé, c’est une chose ridicule de mépriser les lumières des connaissances classiques, et c’en est une autre de se faire mépriser par son ignorance.
De grands coups frappés à la porte firent cesser tout à coup le tumulte, et les officiers prirent leurs armes à la hâte pour être prêts à tout événement. La porte s’ouvrit, et les Skinners entrèrent en amenant avec eux le colporteur courbé sous le poids de sa balle.
– Lequel de vous est le capitaine Lawton ? demanda le chef de la bande en regardant avec quelque surprise les officiers réunis.
– Le voici, attendant votre bon plaisir, dit le capitaine d’un ton sec, mais avec un calme parfait.
– En ce cas, c’est entre vos mains que je remets un traître déjà condamné. Voici Harvey Birch, le colporteur, l’espion.
Lawton tressaillit en voyant en face son ancienne connaissance, et se tournant vers le Skinner en fronçant les sourcils, il s’écria :
– Et qui êtes-vous, Monsieur, pour parler si librement de votre prochain ? – Mais pardon, ajouta-t-il en saluant Dunwoodie, voici l’officier-commandant ; c’est à lui que vous devez vous adresser.
– Non, répondit le Skinner d’un ton bourru. C’est à vous que je livre l’espion, et c’est de vous que j’attends la récompense promise.
– Êtes-vous Harvey Birch ? demanda Dunwoodie au colporteur, en s’avançant avec un air d’autorité qui fit reculer le Skinner dans un coin de l’appartement.
– C’est mon nom, répondit Birch avec un air de fierté.
– Vous êtes coupable de trahison envers votre pays, reprit Dunwoodie d’un ton ferme. Savez-vous que j’ai le droit de faire exécuter la sentence prononcée contre vous ?
– Ce n’est pas la volonté de Dieu qu’une âme soit envoyée si précipitamment en sa présence, répondit le colporteur d’un ton solennel.
– C’est la vérité, dit Dunwoodie ; aussi quelques heures seront-elles ajoutées à votre vie. Mais comme l’espionnage est un crime impardonnable d’après les lois de la guerre, préparez-vous à mourir demain à neuf heures du matin.
– Que la volonté de Dieu s’accomplisse ! répondit Harvey avec la plus grande impassibilité.
– J’ai passé bien du temps à guetter le coquin, dit le Skinner en s’approchant du major, et j’espère que vous allez me donner un certificat pour toucher la récompense. Elle a été promise en or.
– Major Dunwoodie, dit l’officier qui était de garde ce jour-là, en entrant dans la chambre, une patrouille vient de faire rapport qu’une maison a été brûlée la nuit dernière dans la vallée, presque en face de l’endroit où le combat a été livré.
– C’est la hutte du colporteur, dit le Skinner à demi-voix ; nous ne lui avons pas laissé l’abri d’une seule latte. Il y a, ma foi ! longtemps que je l’aurais brûlée, mais il fallait d’abord m’en servir comme d’une trappe pour prendre le renard.
– Vous paraissez un patriote fort ingénieux, dit Lawton avec beaucoup de gravité. – Major Dunwoodie, voulez-vous me permettre d’appuyer la demande de ce digne personnage, et me charger de lui payer la récompense qui lui est due ainsi qu’à ses compagnons ?
– Chargez-vous-en, dit le major. Et vous, malheureux, préparez-vous à la mort que vous subirez bien certainement demain avant le coucher du soleil.
– La vie a peu de chose qui puisse me tenter, dit Harvey en levant lentement les yeux, et en regardant d’un air
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