L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
la main gauche contient une vertu qui n’appartient à aucun autre, et c’est pour cela que, pendant la cérémonie nuptiale, il est entouré d’une ceinture, d’un anneau, comme pour enchaîner à l’état de mariage cette affection, qui est encore mieux assurée par les grâces de la femme. En parlant ainsi le docteur avait une main appuyée sur son cœur et il termina son discours en s’inclinant presque jusqu’à terre.
– Je crois, Monsieur, que je ne vous comprends pas bien, dit miss Peyton avec dignité, mais en laissant reparaître un léger vermillon sur des joues qui avaient perdu depuis longtemps ce charme particulier à la jeunesse.
– Une bague, madame. Il manque une bague pour la cérémonie.
Dès que Sitgreaves eut prononcé ces mots, la tante comprit la situation désagréable dans laquelle on se trouvait. Elle leva les yeux sur ses nièces, et elle remarqua dans la plus jeune un air de satisfaction secrète qui ne lui plut pas tout à fait ; mais elle sut fort bien expliquer la rougeur dont le visage de Sara était couvert. Pour rien au monde elle n’aurait voulu violer aucune des règles de l’étiquette féminine. Elle et ses deux nièces songèrent au même instant que la bague de mariage de leur belle-sœur, de leur mère, reposait paisiblement avec le reste de ses joyaux dans une cachette qui avait été pratiquée dès le commencement des troubles d’Amérique, pour mettre les objets les plus précieux à l’abri des déprédations des maraudeurs qui infestaient le pays. La vaisselle d’argent et tous les effets de quelque valeur étaient avec ce dépôt secret, et là se trouvait la bague en question, oubliée jusqu’à ce moment. Mais de temps immémorial c’était l’affaire du futur époux de fournir cet objet indispensable à la célébration du mariage, et en cette occasion solennelle miss Peyton n’aurait voulu à aucun prix s’avancer au-delà de ce que pouvait prescrire la politesse ordinaire de son sexe, du moins jusqu’à ce que l’offense eût été expiée par une dose suffisante d’embarras et d’inquiétude. La tante garda donc le secret par égard pour le décorum ; Sara en fit autant par délicatesse, et Frances les imita par ces deux motifs réunis et parce que ce mariage ne lui plaisait pas. Il était réservé au docteur Sitgreaves de mettre fin à l’embarras général.
– Madame, dit-il, si un anneau… un anneau fort simple qui a autrefois appartenu à une de mes sœurs… Le chirurgien s’interrompit un instant pour tousser une ou deux fois. Si un anneau semblable pouvait être jugé digne de cet honneur, il serait fort aisé de l’envoyer chercher aux Quatre-Coins, et je ne doute pas qu’il ne convint parfaitement au doigt pour lequel il en manque un. Il y a une forte ressemblance entre… hem !… entre feu ma sœur et miss Wharton pour la taille et toute la structure anatomique, et les proportions sont ordinairement observées dans tout le système de l’économie animale.
Un coup d’œil de miss Peyton rappela le colonel Wellmere au sentiment de son devoir. Il s’empressa de se lever, s’avança vers le docteur, et l’assura qu’il ne pouvait acquérir plus de droits à sa reconnaissance qu’en envoyant chercher cette bague. Sitgreaves le salua avec un peu de hauteur, et se retira pour accomplir sa promesse en dépêchant un messager pour cette mission. Miss Peyton le laissa sortir ; mais ne se souciant pas qu’un étranger fût admis dans la confidence de ces arrangements domestiques, elle se détermina à le suivre et à lui offrir les services de César pour ce message au lieu du domestique du capitaine Singleton qu’Isabelle avait proposé pour s’en acquitter, son frère, probablement par son état de faiblesse, ayant gardé le silence pendant toute la soirée. Katy Haynes fut donc chargée d’avertir le nègre de se rendre dans un autre appartement où miss Peyton et le docteur allèrent lui donner leurs instructions.
Les motifs qui avaient déterminé M. Wharton à consentir à ce mariage si soudain entre sa fille aînée et le colonel Wellmere, surtout dans un moment où la vie d’un membre de la famille courait un si grand danger, étaient la conviction que les troubles qui régnaient dans le pays ne permettraient probablement pas de longtemps aux deux amants de se réunir, et une crainte secrète que la mort de son fils, en accélérant la sienne, ne laissât ses deux filles sans protecteur. Mais,
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