L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
au message important dont il était chargé. La nuit était obscure et le vent sifflait dans la vallée avec le froid glacial que lui donnent les longues nuits de novembre. Lorsqu’il arriva en face du cimetière qui avait reçu si récemment les dépouilles mortelles de John Birch, il éprouva un tremblement involontaire, et jeta les yeux autour de lui avec effroi pour voir s’il n’apercevrait pas quelque apparition. Il restait encore assez de clarté pour qu’il pût distinguer un être, en apparence humain, qui sortait du milieu des tombeaux et qui s’avançait vers la grande route. C’est en vain que la philosophie et la raison combattent nos craintes et nos premières impressions ; mais ni l’une ni l’autre n’offrait son frêle appui à César. Cependant, il était bien monté sur un des chevaux de la voiture de M. Wharton ; et s’accrochant à la crinière de son coursier avec adresse ou par instinct, il lui jeta la bride sur le cou. Les montagnes, les bois, les rochers, les haies, les maisons, semblaient voler des deux côtés avec la rapidité de l’éclair, et le nègre commençait à oublier presque où il allait et pourquoi il courait avec cette précipitation, quand il arriva à l’endroit ou les deux routes se croisaient, et l’hôtel Flanagan s’offrit à ses yeux dans toute la simplicité de sa dégradation. La vue d’un bon feu à travers les croisées lui donna d’abord l’assurance qu’il était arrivé à une habitation humaine ; mais cette idée fut accompagnée de toute la crainte que lui inspiraient les redoutables dragons de Virginie. Il fallait pourtant qu’il s’acquittât de son message, et ayant mis pied à terre, il attacha à une haie son cheval écumant, et s’approcha d’une fenêtre, d’un pas circonspect, pour écouter et faire une reconnaissance.
Le sergent Hollister et Betty Flanagan, assis près d’un feu pétillant, faisaient leur conversation, n’ayant en tiers qu’un grand pot que la vivandière avait libéralement rempli de sa liqueur favorite.
– Je vous répète, mon cher sergent, disait Betty en remettant sur la table le pot qu’elle venait de porter à sa bouche, qu’il n’est pas raisonnable de croire que ce fût autre chose que le colporteur en personne ; où étaient l’odeur du soufre, la queue, les griffes et le pied fourchu ? D’ailleurs, sergent, il n’est pas décent de dire à une honnête veuve qu’elle a eu Belzébut pour compagnon de chambre.
– Peu importe, mistress Flanagan ; tout ce que je désire, c’est que vous échappiez toujours de même à ses piéges et à ses embûches, répondit le vétéran. Et il finit son discours par une attaque vigoureuse contre le pot de whiskey.
César en avait assez entendu pour se convaincre qu’il n’y avait pas grand danger à appréhender de ce couple. Le froid, joint à la frayeur, commençait déjà à faire battre ses dents les unes contre les autres, et la vue d’un bon feu et d’un pot de whiskey l’engageait fortement à risquer l’aventure. Il s’approcha avec toutes les précautions convenables, et frappa à la porte le coup le plus humble qu’il fût possible. L’arrivée de Hollister, le sabre à la main et criant qui va là ? d’un ton brusque, ne contribua pas à lui rendre sa présence d’esprit ; mais l’excès de la crainte fut précisément ce qui lui donna la force d’expliquer sa mission.
– En avant ! dit le sergent avec une promptitude militaire, en l’examinant de la tête aux pieds à l’aide d’une lumière qu’il tenait de la main gauche ; en avant ! remettez-moi vos dépêches. Mais, un instant… Avez-vous le mot d’ordre ?
– Moi pas savoir ce que vous vouloir dire, répondit le nègre en tremblant de tous ses membres.
– Qui vous a envoyé ici en ordonnance ?
– Être un grand massa avec des lunettes ; lui être venu pour guérir le capitaine Singleton.
– C’est le docteur Sitgreaves ; jamais il ne se souvient lui-même du mot d’ordre. – Maintenant, noiraud, je vous dirai que si c’eût été le capitaine Lawton, il ne vous aurait pas envoyé ici, près d’une sentinelle, sans vous donner le mot d’ordre ; cet oubli aurait pu vous valoir une balle de pistolet dans la tête, ce qui aurait été fâcheux pour vous ; car quoique vous soyez noir, je ne suis pas du nombre de ceux qui pensent que les nègres n’ont point d’âme.
– À coup sûr un nègre a une âme tout aussi bien qu’un
Weitere Kostenlose Bücher