L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
blanc, dit Betty. Avancez, mon vieux, et réchauffez à ce bon feu votre carcasse tremblante. Je suis sûre qu’un nègre de Guinée aime la chaleur autant qu’un soldat aime un verre de whiskey.
César obéit en silence, et un jeune mulâtre qui dormait sur un banc reçut ordre de porter le billet du chirurgien dans la maison qui servait d’hôpital pour les blessés.
– Tenez, dit la vivandière en offrant à César un verre de la liqueur qu’elle préférait elle-même, prenez cette goutte, moricaud ; cela vous rendra des forces pour vous en aller, en réchauffant votre âme noire.
– Je vous dis, Élisabeth, que les âmes des nègres sont semblables aux nôtres, s’écria Hollister. Combien de fois ai-je entendu le bon M. Whitfield dire qu’il n’y a pas de distinction de couleur dans le ciel ! Il est donc raisonnable de croire que l’âme de ce noir est aussi blanche que la mienne, et même que celle du major Dunwoodie.
– Être bien sûr, dit César à qui la goutte de mistress Flanagan avait rendu une assurance merveilleuse.
– Dans tous les cas, reprit la vivandière, c’est une bonne âme que l’âme du major… et une belle âme… oui, et une brave âme, et je crois que vous en conviendrez vous-même, sergent.
– Quant à cela, répondit le vétéran, il y a quelqu’un qui est au-dessus de Washington lui-même, et à qui seul il appartient de juger les âmes ; mais ce que je puis dire, c’est que le major Dunwoodie est un homme qui ne dit jamais : Marchez, mes enfants , mais Marchons, mes enfants . S’il manque à un dragon un mors ou une paire d’éperons, il sait toujours où trouver de l’argent pour l’acheter, et cela c’est dans sa propre poche.
– Et pourquoi donc restez-vous ici les bras croisés, quand ce qu’il chérit le plus au monde est en danger ? s’écria une voix à peu de distance : à cheval ! aux armes ! et allez rejoindre à l’instant votre capitaine, ou il sera trop tard !
Cette interruption inattendue jeta la confusion dans le trio. César fit sa retraite sous le manteau d’une immense cheminée, où il maintint sa position avec courage, quoique exposé à un feu qui aurait rôti un homme blanc. Le sergent fit un demi-tour à droite en un clin d’œil, mit le sabre à la main, le brandit d’un air terrible, et en fit briller l’acier à la lueur du foyer. Mais lorsque dans cet intrus, debout sur le seuil d’une porte qui conduisait dans la cour, il eut reconnu le redoutable colporteur, il fit trois pas en arrière pour aller rejoindre le vieux nègre, espèce de manœuvre militaire qui avait pour objet de concentrer ses forces. La vivandière fut la seule qui maintint son poste près de la table. Emplissant un verre de la liqueur connue des soldats sous le nom de choke-dog {36} , elle l’offrit au colporteur. L’amour et le whiskey rendaient ses yeux brillants, et les tournant vers Birch avec un air de bonne humeur, elle lui dit :
– Sur ma foi ! vous êtes le bienvenu, monsieur Birch, monsieur l’espion, monsieur Belzébut, ou quel que soit votre nom ; car si vous êtes le diable, vous êtes un diable honnête, du moins. J’espère que vous avez été content de ma robe et de mon cotillon. Approchez, approchez-vous du feu, et n’ayez pas peur du sergent Hollister, il ne vous fera pas de mal, de crainte que vous ne preniez un jour votre revanche. N’est-il pas vrai, sergent ?
– N’avance pas, esprit des ténèbres, s’écria le vétéran en opérant sa jonction encore plus rapprochée avec César, et en levant alternativement chaque jambe que la chaleur excessive rôtissait ; retire-toi en paix : il n’y a ici aucun des tiens, et c’est en vain que tu cherches cette femme, elle est protégée par une tendresse de merci qui la sauvera de tes griffes.
Le mouvement de ses lèvres annonça ensuite qu’il parlait encore ; mais c’était une prière qu’il prononçait à voix basse, et dont on n’entendit que quelques mots détachés.
La tête de la vivandière était échauffée par la liqueur qu’elle ne s’était pas épargnée. Quelques mots prononcés par Hollister, et qu’elle n’avait pas bien compris, avaient fixé son attention, et fait naître une nouvelle idée dans son imagination.
– Et si c’est moi qu’il cherche, s’écria-t-elle, qui a le droit d’y trouver à redire ? Ne suis-je pas veuve et maîtresse de mes actions ? Et vous parlez de tendresse ; ce que j’en vois
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