L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
n’est pas lourd. Quoi qu’il en soit, M. Belzébut que voilà est bien le maître de me dire ce qu’il lui plaira ; à coup sûr je suis disposée à l’écouter.
– Silence, femme ! s’écria Harvey ; et vous, homme insensé, prenez vos armes, montez à cheval, et volez au secours de votre officier, si vous êtes digne de la cause que vous servez. Voulez-vous déshonorer l’uniforme que vous portez ? Les sentiments qui animaient le colporteur donnaient à ses paroles toute la force de l’éloquence, et il disparut aux yeux du trio étonné avec une rapidité qui ne laissa à personne le temps de voir par où il s’était retiré.
En entendant la voix d’un ancien ami, César sortit de sa retraite la peau luisante de sueur, et il s’avança avec intrépidité vers Betty qui était restée debout dans le désordre de ses idées.
– Moi fâché que Harvey être parti, dit-il. Si lui traverser la vallée, moi bien aise de m’en aller avec lui. L’esprit de John Birch pas faire de mal à son fils.
– Pauvre ignorant ! s’écria le vétéran retrouvant la parole, après avoir repris haleine péniblement ; croyez-vous donc que ce que nous venons de voir soit un homme de chair et de sang ?
– Harvey pas fort en chair, mais bien adroit, répondit le nègre.
– Sergent, dit la vivandière, parlez raison une fois en votre vie, et profitez de l’avis qui vous est donné, n’importe par qui. Appelez les soldats et allez joindre le capitaine Jack. Souvenez-vous, mon bijou, qu’il vous a dit en partant d’être prêt à monter à cheval au premier signal.
– Oui, mais non pas à l’ordre du malin esprit. Que le capitaine Lawton, le lieutenant Mason, ou le cornette Scipwith disent un mot, et qui est plus prompt que moi à se mettre en selle ?
– Et combien de fois vous êtes-vous vanté en ma présence, sergent, que votre corps n’aurait pas peur de faire face au diable ?
– Je le dis encore ; en bataille rangée et en plein jour ; mais c’est une folie et une impiété que de tenter Satan en une pareille nuit. Écoutez comme le vent siffle à travers les arbres : on croirait entendre hurler de malins esprits.
– Moi le voir ! s’écria César en ouvrant les yeux d’une largeur capable d’embrasser plus que des objets imaginaires.
– Qui ? demanda Hollister en portant par instinct la main sur la poignée de son sabre.
– Moi voir John Birch sortir de sa fosse, dit le nègre ; John Birch s’être montré sur ses jambes avant d’avoir été enterré.
– En ce cas, il faut qu’il ait mené une mauvaise vie, dit Hollister. Les esprits bienheureux restent en repos jusqu’à la revue générale du dernier jour ; mais l’âme coupable est tourmentée en ce monde comme elle le sera dans l’autre.
– Et que deviendra le capitaine Jack ? s’écria Betty en colère. Est-ce que vous ne songez ni à vos ordres ni à l’avis qui vous a été donné ? Je vais faire atteler ma charrette, j’irai le trouver et je lui dirai qu’il n’a pas de secours à attendre de vous parce que vous avez peur du diable et d’un homme mort. Nous verrons demain qui sera son sergent d’ordonnance. À coup sûr il ne se nommera pas Hollister.
– Allons, allons, dit le sergent en lui appuyant la main sur l’épaule, s’il faut qu’on marche cette nuit, que ce soit celui dont le devoir est d’appeler les soldats aux armes qui leur montre l’exemple. Puisse le Seigneur avoir pitié de nous, et ne nous envoyer que des ennemis de chair et de sang !
Un autre verre que lui versa la vivandière confirma le vétéran dans une résolution qu’il n’avait prise que par crainte du mécontentement du capitaine, et il alla donner les ordres nécessaires aux douze dragons dont il était alors l’officier commandant. Le jeune mulâtre étant revenu avec la bague, César la mit dans la poche de son gilet la plus voisine de son cœur, monta à cheval, ferma les yeux, s’accrocha à la crinière de son coursier, et resta dans une espèce de stupeur jusqu’à ce que l’animal se fût arrêté à la porte de l’écurie d’où il était parti.
Les mouvements des dragons se faisant avec toute la régularité d’une marche furent beaucoup plus lents, et le sergent les fit avancer avec des précautions qui avaient pour but de se mettre en garde contre toute surprise de la part du malin esprit.
CHAPITRE XXII
Que ta bouche ne soit pas le héraut de ta propre honte ; prends un
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