L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
mentez ! s’écria le sergent avec colère, et quiconque dit que nous n’avons pas remporté la victoire en a menti.
– Je veux dire pour un moment, répliqua la vivandière ; vous avez tourné le dos un moment ; mais le major Dunwoodie est arrivé, vous a fait faire une nouvelle charge, et les troupes régulières vous ont montré le dos à leur tour. Mais le capitaine Jack n’en a pas moins été démonté, et j’ose dire que parmi tous les dragons il n’y a pas un meilleur cavalier que lui. Ainsi donc, sergent, ma charrette peut être utile. Allons, vous autres, que deux de vous mettent ma jument entre les brancards, et s’il leur manque quelque chose demain matin ce ne sera pas du whiskey, et mettez-lui sur le dos un morceau de la peau de Jenny, car les routes raboteuses de West-Chester ont mal arrangé la pauvre bête. Le consentement du sergent ayant été obtenu, l’équipage de mistress Flanagan fut bientôt prêt à la recevoir.
– Comme nous ne pouvons savoir, dit Hollister à ses dragons, si nous serons attaqués de front, cinq de vous marcheront en avant, et les autres resteront en arrière pour couvrir notre retraite, si elle devenait nécessaire. Ce n’est pas une petite affaire pour un homme peu instruit que d’avoir à commander dans un pareil moment, mistress Flanagan, et je voudrais de tout mon cœur qu’il y eût ici quelqu’un de nos officiers ; mais je mets ma confiance dans le Seigneur.
– Fi donc ! fi ! dit la vivandière assise alors fort à son aise dans sa charrette ; du diable s’il y a un ennemi dans les environs ! marchez donc un peu plus vite, que je puisse mettre ma jument au trot ; sans quoi le capitaine Jack n’aura pas à vous remercier de votre diligence.
– Quoique je ne sois qu’un ignorant en ce qui concerne les communications avec les esprits et les revenants, mistress Flanagan, dit Hollister, je n’ai pas fait l’ancienne guerre et servi cinq ans dans celle-ci sans avoir appris qu’une armée doit toujours couvrir ses bagages, et c’est à quoi Washington ne manque jamais. Je n’ai pas besoin de recevoir d’une vivandière des leçons de service. Allons, camarades, en avant ! et marchez comme je l’ai ordonné.
– Oui, marchez, n’importe comment, s’écria Betty avec impatience ; je suis sûre que le moricaud est déjà arrivé, et le capitaine vous reprochera d’avoir été bien lent.
– Êtes-vous bien sûre que ce soit un vrai nègre qui a apporté cette lettre ? demanda le sergent en se plaçant entre les deux pelotons, de manière à pouvoir causer avec Betty et donner en même temps des ordres en avant et en arrière.
– Je vous dis que je ne suis sûre de rien, répondit la vivandière ; mais pourquoi vos dragons ne mettent-ils pas leurs chevaux au trot ? ma jument n’est pas accoutumée à marcher au pas, et l’on ne se réchauffe pas dans cette maudite vallée {37} en allant comme un convoi qui va à un enterrement.
– Doucement, tranquillement et prudemment, mistress Flanagan, répliqua Hollister ; ce n’est pas la témérité qui fait le bon officier. Si nous avons affaire à un esprit, il est très-probable qu’il nous attaquera par surprise. On ne doit pas beaucoup compter sur les chevaux dans les ténèbres, et j’ai une réputation à perdre, bonne femme.
– Une réputation ! répéta Betty, et le capitaine Jack n’a-t-il pas aussi une réputation et même une vie à perdre ?
– Halte ! s’écria le sergent. Qu’est-ce que j’ai vu remuer au pied de ce rocher sur la gauche ?
– Ce n’est rien, dit la vivandière avec impatience, à moins que ce ne soit l’âme du capitaine Jack qui vienne vous reprocher d’avoir marché si lentement à son secours.
– Betty, c’est une folie que de parler de cette manière. En avant un de vous, et allez reconnaître ce rocher. Le sabre à la main, vous autres, et serrez les rangs !
– Êtes-vous devenu fou ou poltron, sergent ? Allons, allons, qu’on me fasse place ! ma jument et moi nous serons près de ce rocher en un clin d’œil. Ce n’est pas un esprit qui me fait peur, ma foi ?
En ce moment un dragon, qui s’était détaché en avant, vint annoncer que rien n’empêchait qu’ils avançassent, et l’on se remit en marche, mais toujours avec beaucoup de lenteur et de circonspection.
– Le courage et la prudence sont les vertus d’un soldat, mistress Flanagan, dit le sergent, et sans l’une de ces qualités on peut
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