L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
des Skinners que lorsque les flammes s’étendirent avec fureur tout autour d’elles. Les cris de Katy et ceux de la femme effrayée de César, joints au tumulte qu’on entendait dans l’appartement voisin, furent les premiers symptômes qui firent craindre à miss Peyton et à Isabelle quelque danger imprévu.
– Divine providence ! s’écria la tante alarmée ; il règne une terrible confusion dans toute la maison. Il y aura du sang répandu par suite de cette affaire.
– Qui pourrait songer à se battre ? dit Isabelle, le visage encore plus pâle que celui de miss Peyton. Le docteur Sitgreaves est d’un caractère fort paisible, et certainement le capitaine Lawton ne s’oublierait pas à ce point.
– Ces jeunes gens du sud ont l’humeur vive et impétueuse, reprit miss Peyton. Votre frère lui-même, tout faible qu’il est, a eu toute cette soirée l’air animé et mécontent.
– Juste ciel ! s’écria Isabelle se soutenant à peine en s’appuyant sur le sofa sur lequel on avait placé Sara ; il est naturellement doux comme un agneau, mais c’est un véritable lion quand il est courroucé.
– Il faut que nous retournions dans le salon, dit miss Peyton ; notre présence leur imposera, et sauvera peut-être la vie d’un de nos semblables.
Miss Peyton voulait s’acquitter de ce qu’elle regardait comme un devoir que lui imposaient son sexe et son caractère, et elle s’avança vers la porte avec toute la dignité d’une femme dont la sensibilité est blessée. Isabelle la suivit ; elle avait recouvré son énergie, et son œil étincelant annonçait une âme capable de venir à bout de la tâche qu’elle entreprenait. L’appartement où elles se trouvaient était situé dans une aile communiquant au principal corps de logis par un corridor long et obscur. Ce corridor était éclairé en ce moment, et elles aperçurent à l’autre extrémité quelques individus courant avec une impétuosité qui ne leur permit pas de reconnaître leurs traits.
– Avançons, dit miss Peyton avec une fermeté que sa physionomie démentait ; ils auront sans doute quelque respect pour notre sexe.
– Certainement, s’écria Isabelle en marchant la première ; et Frances fut laissée seule avec sa sœur. Elle resta quelques instants en silence, regardant les traits pâles de Sara avec une inquiétude qui l’absorbait au point qu’elle ne remarqua pas l’absence de ses deux compagnes. Tout à coup un craquement effrayant se fit entendre dans les appartements situés à l’étage supérieur, et en même temps une lumière brillante comme le soleil de midi pénétra dans l’appartement par la porte restée ouverte, et rendit tous les objets distincts à la vue. Sara se souleva, jeta un coup d’œil surpris autour d’elle, appuya ses deux mains sur son front comme pour tâcher de se rappeler ce qui venait de se passer, et regardant sa sœur d’un air égaré, lui dit en souriant :
– Je suis donc dans le ciel, et vous, vous êtes sans doute un des esprits bienheureux qui l’habitent ? Oh ! que cette lumière est belle ! Je sentais que le bonheur que j’éprouvais était trop grand pour la terre ; il ne pouvait durer ; mais nous nous reverrons, oui, oui, nous nous reverrons.
– Sara ! ma sœur ! s’écria Frances en proie aux plus vives alarmes, que dites-vous donc ? Ne souriez pas d’une manière si effrayante ! Voulez-vous me briser le cœur ? ne me reconnaissez-vous pas ?
– Paix ! dit Sara en mettant un doigt sur sa bouche, vous troubleriez son repos, car il me suivra sûrement dans la tombe. Croyez-vous que deux femmes puissent être dans le même tombeau ! Oh ! non !… non, non, rien qu’une, une seule.
Frances appuya sa tête sur le sein de sa sœur en sanglotant.
– Vous pleurez, bel ange ? reprit Sara avec douceur ; on n’est donc pas exempt de chagrins, même dans le ciel ? Mais où est Henry ? il devrait être ici, puisqu’il a été exécuté. Ils viendront peut-être ensemble. Qu’ils seront charmés de cette réunion !
Frances se releva, et se promena dans l’appartement avec une amertume de chagrin qu’elle ne pouvait maîtriser. Sara la suivit des yeux, se livrant à une admiration enfantine de sa beauté et de sa parure, qui était telle que l’occasion l’exigeait. Appuyant encore la main sur son front, elle lui dit :
– Vous ressemblez à ma sœur, mais tous les esprits bons et aimables se ressemblent. Dites-moi,
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