L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
avez-vous jamais été mariée ? Avez-vous jamais accordé, comme moi, plus d’affection à un étranger qu’à votre père, à votre frère, à votre sœur ? Si vous ne l’avez pas fait, pauvre fille ! que je vous plains, quoique vous soyez dans le ciel !
– Paix, Sara ! silence ! s’écria Frances en se précipitant près de sa sœur ; ne me parlez pas ainsi, ou vous me verrez mourir à vos pieds.
Un bruit épouvantable qui ébranla le bâtiment jusque dans ses fondations se fit entendre en ce moment. C’était le plafond qui s’écroulait, et les flammes redoublant d’activité rendirent visibles tous les environs de la maison. Frances courut à une fenêtre, et vit sur la pelouse un groupe rassemblé avec confusion. Elle y reconnut sa tante et Isabelle. Elles avaient les bras étendus vers la maison embrasée, avec un air de désespoir, et semblaient supplier quelques dragons qui étaient près d’elles d’aller secourir les infortunés qui s’y trouvaient. Ce fut le premier instant où elle connut la nature et la grandeur du péril, et poussant un grand cri d’effroi, elle s’élança dans le corridor par instinct, sans but comme sans réflexion.
Une colonne de fumée épaisse et étouffante lui ferma le passage. Elle s’arrêtait pour respirer, quand un homme la saisit entre ses bras, et, à travers l’obscurité d’une part et une pluie de feu de l’autre, la transporta en plein air, plus morte que vive. Dès qu’elle eut repris ses sens, elle vit que c’était à Lawton qu’elle devait la vie, et se jetant à genoux devant lui, elle s’écria :
– Sara ! Sara ! sauvez ma sœur ! et puisse, Dieu vous accorder toutes ses bénédictions !
Les forces lui manquèrent, et elle tomba sur l’herbe, sans connaissance. Le capitaine fit signe à Katy de venir lui donner des secours, et s’avança de nouveau vers la maison. Le feu s’était déjà communiqué aux bois des fenêtres et aux treillages qui les décoraient, et tout l’extérieur du bâtiment était couvert de fumée. Le seul moyen d’y pénétrer était à travers tous ces dangers, et l’intrépide et impétueux Lawton lui-même hésita un instant ; mais ce ne fut qu’un instant, et il se précipita dans cette espèce de fournaise. Ne pouvant trouver la porte, il retourna un moment sur la pelouse pour pouvoir respirer, s’élança de nouveau dans les ténèbres, et manqua encore la porte ; mais la troisième tentative réussit. En entrant sous le vestibule, il rencontra un homme prêt à succomber sous le poids d’une autre personne qu’il portait. Ce n’était ni le temps ni le lieu de faire des questions ; Lawton les saisit tous deux entre ses bras, et avec la force d’un géant les porta tous deux sur la pelouse. À son grand étonnement il reconnut alors que c’était Sitgreaves, chargé du cadavre d’un des Skinners qu’il venait de sauver ainsi.
– Archibald ! s’écria-t-il, au nom de la justice céleste ! pourquoi vouliez-vous sauver un mécréant dont les crimes crient vengeance ?
Le chirurgien avait l’esprit trop égaré pour pouvoir lui répondre sur-le-champ ; mais, après avoir essuyé la sueur qui lui couvrait le front et avoir débarrassé ses poumons des vapeurs qui en gênaient l’action, il dit en soupirant :
– Ah ! tout est fini pour lui. Si j’étais arrivé à temps pour arrêter l’effusion du sang de la jugulaire, il y aurait eu quelque espoir ; mais la chaleur a occasionné une hémorragie. Oui vraiment, la vie est éteinte en lui. Eh bien ! y a-t-il d’autres blessés ?
Il ne se trouvait personne pour lui répondre, car on avait conduit Frances de l’autre côté du bâtiment, où étaient sa tante et miss Singleton, et Lawton avait de nouveau disparu dans la fumée.
Pour cette fois il trouva aisément la porte de la maison, car les flammes augmentant de force avaient dissipé en grande partie les vapeurs étouffantes. Mais comme il allait y entrer, il en vit sortir un homme portant entre ses bras Sara sans connaissance. À peine eurent-ils le temps de regagner la pelouse que les flammes sortirent par toutes les croisées du bâtiment, qui se trouva comme enveloppé d’une nappe de feu.
– Dieu soit loué ! s’écria l’individu qui venait de sauver Sara ; quelle mort affreuse elle aurait endurée !
Le capitaine, dont les yeux étaient fixés sur l’édifice embrasé, les en détourna pour les porter sur celui qui parlait ainsi, et à sa
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