L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
et l’épuisement qui avait succédé au mouvement d’indignation du capitaine Singleton exigeaient les consolations de l’aumônier et les soins du chirurgien. Le bruit d’une décharge d’armes à feu donna à toute la famille le premier avis de quelque nouveau danger, et une minute s’était à peine écoulée quand le chef des Skinners entra dans le salon avec un homme de sa bande.
– Rendez-vous, serviteur du roi George, s’écria le chef en appuyant le bout de son mousquet sur la poitrine de Sitgreaves ; rendez-vous, ou je ne laisserai pas dans vos veines une seule goutte de votre sang royaliste.
– Doucement, doucement, mon ami, s’écria le docteur ; vous êtes sans doute plus expert dans l’art de faire des blessures que dans celui de les guérir, et l’arme que vous tenez si indiscrètement est infiniment dangereuse pour la vie animale.
– Rendez-vous donc, ou sinon…
– Et à quoi bon me rendre ? Je suis un non-combattant, un disciple de Galien. C’est avec le capitaine Lawton que vous devez régler les articles de la capitulation, quoique je pense que vous ne le trouverez pas fort traitable à cet égard.
Le Skinner avait eu le temps d’examiner le groupe qui se trouvait dans cet appartement, et voyant bien qu’il n’y avait aucune résistance à craindre, son empressement à s’assurer sa part du pillage fit qu’il jeta par terre son mousquet pour s’occuper, avec l’homme qui l’accompagnait, à mettre dans un sac toute l’argenterie qu’il put trouver, afin d’être prêt à faire retraite avec sa proie dès que les circonstances l’exigeraient. La maison offrait alors un spectacle bien singulier : toutes les dames étaient rassemblées auprès de Sara, encore sans connaissance, dans une chambre qui avait échappé à l’attention des brigands ; M. Wharton était tombé dans un état de stupeur complète, écoutant, sans en profiter, les paroles de consolation que lui adressait l’aumônier, qui lui-même fut bientôt trop épouvanté pour continuer à s’acquitter de ce ministère charitable. Singleton, épuisé, était étendu sur un sofa, et savait à peine ce qui se passait autour de lui. Le docteur lui administrait une potion cordiale, et examinait ses bandages avec un sang-froid qui défiait le tumulte. César et le domestique du capitaine Singleton s’étaient enfuis dans le bois ; et Katy Haynes, parcourant toute la maison, faisait à la hâte des paquets de ses effets les plus précieux avec le soin le plus scrupuleux de n’y rien faire entrer qui ne lui appartînt bien légitimement.
Mais il est temps que nous retournions aux Quatre-Coins. Lorsque le vétéran Hollister eut donné ordre aux dragons de prendre les armes et de monter à cheval, la vivandière avait senti le désir de partager la gloire et les périls de l’expédition. Nous ne prendrons pas sur nous d’assurer si elle y fut portée par la crainte de rester seule, ou par le désir de marcher en personne au secours de son favori ; mais une chose certaine, c’est que, dès qu’elle vit le sergent monter à cheval et se disposer un peu à contre-cœur à donner l’ordre du départ, elle s’écria :
– Attendez qu’on attèle ma charrette ; je vais vous accompagner, et s’il y a des blessés, comme cela est probable, elle servira à les ramener.
Quoique intérieurement Hollister ne fût pas fâché de trouver un prétexte de retarder son départ pour un service qui n’était guère de son goût, il crut pourtant devoir montrer quelque mécontentement de ce délai.
– Quand mes dragons sont à cheval, dit-il, il n’y a qu’un boulet de canon qui puisse les en faire descendre, et dans une affaire qui est de l’invention du diable, il n’est que trop probable que ce n’est pas contre le feu du canon et de la mousqueterie que nous aurons à nous défendre ; ainsi donc vous pouvez-venir si bon vous semble ; mais vous voyez que nous n’aurons pas besoin de votre charrette.
– Vous mentez, mon cher sergent, dit Betty à qui ses copieuses libations ne permettaient pas de choisir ses termes. Le capitaine Singleton n’a-t-il pas été renversé de cheval par une balle, il n’y a que dix jours ? n’en est-il pas arrivé autant au capitaine Jack ? n’est-il pas resté étendu sur le dos et le visage tourné vers le ciel ? vos dragons ne l’ont-ils pas cru mort, et ne se sont-ils pas enfuis en laissant la victoire aux troupes du roi ?
– C’est vous qui
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