L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
l’herbe, donnait à toute cette scène un air de désolation encore plus prononcé. Quand une colonne de flammes s’élevant vers le ciel répandait une plus grande clarté, on voyait sur l’arrière-plan du tableau le sergent Hollister et ses quatre dragons, gravement à cheval, suivant toutes les règles de la discipline militaire, et la jument de mistress Flanagan, qui, ayant été détachée du brancard, paissait l’herbe tranquillement sur le bord du chemin. Betty elle-même s’était avancée près du vétéran, et elle avait vu avec un calme parfait tous les événements que nous venons de rapporter. Plus d’une fois elle avait insinué au sergent que, comme on ne se battait plus, le moment du pillage était arrivé ; Hollister, l’informant des ordres qu’il avait reçus, resta inflexible et immobile. Enfin la vivandière ayant vu Lawton accourir de derrière une aile de la maison, emportant Sara dans ses bras, alla joindre elle-même les autres dragons.
Le capitaine, après avoir placé Sara sur un sofa faisant partie des objets que les soldats avaient sauvés des flammes, se retira avec délicatesse pour que les dames pussent donner les soins convenables à cette infortunée, et pour réfléchir sur ce qui lui restait à faire. Miss Peyton et Frances la reçurent des mains de Lawton avec un transport qui ne leur permit de penser qu’au plaisir de la voir en sûreté ; mais la vue de ses joues animées et de ses yeux égarés leur inspira bientôt des réflexions plus tristes.
– Sara, mon enfant ! ma chère nièce ! s’écria la tante en la serrant dans ses bras, vous êtes sauvée, et puisse la bénédiction du ciel tomber sur celui qui a été l’instrument de sa bonté !
– Voyez, dit Sara en montrant à sa tante le feu qui brillait encore dans les ruines, voyez la belle illumination ! c’est pour moi qu’on l’a ordonnée ; c’est ainsi qu’on reçoit une nouvelle épouse. Il me l’avait dit. Écoutez ! n’entendez-vous pas sonner les cloches ?
– Hélas ! s’écria Frances paraissant presque aussi égarée que sa sœur, il n’y a ici ni mariage, ni réjouissances ; tout est malheur et désolation ! Ô ma sœur ! puisse le ciel vous rendre à nous, vous rendre à vous-même.
– Pourquoi pleurer, jeune fille ? dit Sara avec un sourire de compassion. Tout le monde ne peut pas être heureux en même temps ; n’avez-vous pas un mari pour vous consoler ? Patience ! vous en trouverez un. Mais prenez bien garde qu’il n’ait pas déjà une autre femme, ajouta-t-elle en baissant la voix ; car il est terrible de penser à ce qui pourrait arriver s’il était marié deux fois.
– Elle a perdu la raison ! s’écria miss Peyton en se tordant les mains ; ma pauvre Sara, ma chère enfant ! son esprit est-il donc égaré sans retour ?
– Non, non, non, s’écria Frances. Ce n’est qu’une fièvre au cerveau, elle nous sera rendue !… elle nous sera rendue !
Miss Peyton saisit avec joie cette lueur d’espérance, et chargea Katy de chercher le docteur. Il était occupé à faire subir un interrogatoire aux dragons dans l’espoir de trouver quelque brûlure ou quelque écorchure à guérir, lorsque Katy arriva près de lui, et il s’empressa de se rendre aux ordres de miss Peyton.
– Madame, lui dit-il, une nuit commencée sous de si joyeux auspices se termine d’une manière fâcheuse. Mais la guerre amène toujours bien des maux à sa suite, quoiqu’elle puisse souvent être utile à la cause de la liberté et qu’elle accélère les progrès de la science chirurgicale.
Miss Peyton ne put lui répondre, et se borna à lui montrer sa nièce en sanglotant.
– Elle a une fièvre brûlante, s’écria Frances ; voyez ses yeux et ses joues enflammées !
Sitgreaves étudia un instant avec attention les symptômes extérieurs qu’offrait la malade, et lui prit ensuite la main en silence. Il était rare qu’il montrât une vive émotion ; toutes ses passions semblaient habituées à se concentrer dans une dignité classique, et ses traits rigides et distraits laissaient rarement apercevoir ce que son cœur éprouvait si souvent. Mais en cette occasion les yeux attentifs de miss Peyton et de Frances y découvrirent une expression de compassion et de sensibilité. Après avoir laissé reposer ses doigts environ une minute sur un joli bras dont la peau blanche était ornée d’un bracelet de brillants, sans que Sara y opposât aucune
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