L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
précaution, et en évitant d’en casser des branches, et même d’y toucher, de crainte de faire du bruit. À peine avait-il eu le temps de se dérober à la vue, qu’un dragon arriva sur le haut de la montagne et s’écria :
– Je viens d’entrevoir un de leurs chevaux qui descend de ce côté.
– En avant, mes amis ! en avant ! s’écria Mason. Faites quartier à l’Anglais, mais sabrez le colporteur, et qu’on n’en entende plus parler.
Henry sentit son compagnon lui serrer le bras avec force et trembler de tous ses membres en écoutant cet ordre redoutable, et ils entendirent passer une douzaine de cavaliers courant avec une rapidité qui prouvait combien peu le cheval du colporteur et le sien auraient été en état de les mettre à l’abri de la poursuite de ces dragons.
– Maintenant, dit le colporteur en se levant pour faire une reconnaissance, et, après un instant d’incertitude, ils descendent d’un côté et nous allons monter de l’autre. Remettons-nous en marche.
– Mais ils nous suivront, ils entoureront cette montagne, dit Henry, tout en suivant la marche rapide de son compagnon. Songez que s’ils ont des chevaux, ils ont des jambes comme nous, et dans tous les cas ils nous prendront ici par famine.
– Ne craignez rien, capitaine Wharton, répondit le colporteur avec assurance. Cette montagne n’est pas celle sur laquelle j’ai dessein de m’arrêter ; mais la nécessité a fait de moi un bon pilote au milieu de ces rochers. Je vais vous conduire où personne n’osera nous suivre. Voyez, le soleil descend déjà derrière le haut des montagnes, à l’occident ; il se passera encore plus de deux heures avant que la lune se lève ; croyez-vous que quelqu’un songe à nous poursuivre, pendant une nuit de novembre, au milieu de ces rochers et de ces précipices.
– Mais écoutez, dit Henry ; j’entends les cris des dragons : ils s’aperçoivent déjà qu’ils suivent une fausse piste.
– Montez sur cette pointe de rocher, et vous pourrez les voir, dit Birch en s’asseyant tranquillement pour se reposer. Tenez, ils nous ont aperçus ; voyez-vous qu’ils nous montrent du doigt ? Bon, en voilà un qui nous tire un coup de pistolet ; mais la distance est trop grande ; une balle de mousquet ne pourrait arriver jusqu’à nous.
– Mais ils nous poursuivront ! s’écria Henry avec impatience ; remettons-nous en marche.
– Ils n’en feront rien, répondit le colporteur en recueillant avec beaucoup de sang-froid quelques fruits sauvages, et les mettant dans sa bouche pour se rafraîchir sans se donner la peine d’en ôter les feuilles. Comment pourraient-ils avancer ici avec leurs grosses bottes, leurs éperons et leurs grands sabres ? Non, non ; il faut qu’ils retournent au camp, et qu’ils fassent marcher de l’infanterie dans ces défilés ou un cavalier ne peut rester en selle qu’en tremblant. Allons ! suivez-moi, capitaine Wharton ; nous avons une marche pénible à faire, mais je vous conduirai dans un endroit où personne ne songera à se hasarder cette nuit.
À ces mots, ils se levèrent tous deux, et les rochers et les cavernes les dérobèrent bientôt à tous les yeux.
Le colporteur ne s’était trompé dans aucun de ses calculs. Mason et ses dragons avaient descendu la montagne avec précipitation, poursuivant leurs victimes, comme ils le supposaient ; mais en arrivant au bas, ils n’y avaient trouvé que les deux chevaux sans cavaliers. Ils passèrent quelque temps à examiner les bois dont ils étaient voisins, et à voir s’il était possible que de la cavalerie y pénétrât ; et ce fut tandis qu’ils s’occupaient de cet examen qu’un dragon vit Harvey et Henry sur une pointe de rocher, et les fit apercevoir à son lieutenant.
– Il est sauvé ! s’écria Mason, ne songeant d’abord qu’au colporteur ; il est sauvé, et nous sommes déshonorés ! De par le ciel ! Washington ne nous confiera pas la garde d’un tory suspect, si nous souffrons que ce misérable se joue ainsi des dragons de Virginie ! Et ce capitaine anglais qui est à côté de lui, il me semble que je le vois jeter sur nous un sourire de bienveillance ou plutôt de dérision. Eh ! camarade, vous vous trouvez plus à l’aise que si vous étiez à danser en plein air au bout d’une corde. Mais patience, vous n’êtes pas encore à l’ouest de la rivière de Harlaem, et vous aurez de nos nouvelles avant que vous puissiez rendre
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