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L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance

L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance

Titel: L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Fenimore Cooper
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comme à une bête féroce ? J’ai été conduit une fois jusqu’au pied de l’échafaud, et je n’y ai échappé que parce que les troupes royales ont fait une attaque en ce moment. Un quart d’heure plus tard, et le monde disparaissait à mes yeux ; j’étais au milieu d’une troupe d’hommes, de femmes, d’enfants qui me regardaient avec insensibilité comme un monstre qu’on devait maudire. Je cherchai dans cette foule un seul visage qui annonçât de la compassion ; je n’en trouvai pas un, non, pas un seul, et partout j’entendais qu’on me reprochait d’avoir trahi mon pays, de l’avoir vendu à prix d’argent. Le soleil me paraissait plus brillant que de coutume, sans doute parce que je croyais le voir pour la dernière fois ; la verdure des champs me semblait plus riante ; en un mot, toute la nature me paraissait une espèce de ciel. Ah ! combien la vie me semblait désirable en ce moment terrible ! Vous n’en avez pas encore vu de semblable, capitaine Wharton ; vous avez des parents qui allégent vos chagrins en les partageant : je n’avais qu’un père pour ressentir les miens, quand il les apprendrait ; mais il n’y avait près de moi ni pitié ni consolation pour adoucir ma détresse : tout semblait m’avoir abandonné. Je croyais que LUI-même il avait oublié que j’existais.
    – Quoi ! pensiez-vous que Dieu vous eût délaissé ? demanda Henry avec un vif intérêt.
    – Dieu ne délaisse jamais ceux qui le servent, répondit Harvey avec un sentiment de religion plus véritable que celui qu’il avait affecté quelques instants auparavant.
    – Et de qui parliez-vous en disant LUI ?
    Le colporteur se redressa sur sa selle, et reprit l’air de raideur convenable à l’habit qu’il portait. Le feu qui brillait dans ses yeux fit place à une apparence d’humilité, et il dit à Henry du même ton que s’il eût adressé la parole à un nègre :
    – Il n’y a pas de distinction de couleur dans le ciel, mon frère ; vous avez une âme comme la nôtre, vous aurez comme nous un compte terrible à rendre de… Bon, ajouta-t-il en baissant la voix, nous venons de passer la dernière sentinelle des miliciens. Ne regardez pas derrière vous, si vous faites cas de la vie.
    Henry se rappela sa situation, et prit l’air humble qui convenait au rôle qu’il jouait. Le sentiment de son propre danger lui fit bientôt oublier l’énergie inconcevable du ton et des manières du colporteur, et le souvenir de la position critique dans laquelle il se trouvait fit renaître en lui toutes les inquiétudes qu’il avait oubliées un instant.
    – Qu’apercevez-vous là-bas, Harvey ? s’écria-t-il en voyant son compagnon jeter vers la ferme qu’ils venaient de quitter un regard qui lui parut de mauvais augure ; que se passe-t-il dans ce bâtiment ?
    – Quelque chose qui ne nous promet rien de bon, répondit le prétendu ministre. Débarrassez-vous de votre masque et de votre perruque, vous allez avoir besoin avant peu de toutes vos ressources naturelles ; jetez-les sur la route ; il n’y a rien à craindre en avant, mais je vois en arrière des gens qui vont nous donner une terrible chasse.
    – Eh bien ! dit Henry en jetant loin de lui ce qui servait à le déguiser, profitons du temps, gagnons du terrain, il ne faut qu’un quart d’heure pour gagner le coude de la route ; pourquoi ne pas prendre le galop sur-le-champ ?
    – Du calme, capitaine Wharton ; l’alarme a été donnée, mais les dragons ne monteront pas à cheval sans leur officier, à moins qu’ils ne nous voient fuir. Le voici qui arrive, il va à l’écurie. Mettez votre cheval au trot à présent. En voilà une douzaine qui sont en selle. L’officier s’arrête pour resserrer les sangles. Ils espèrent nous gagner de vitesse. Le voilà à cheval ; maintenant au galop, capitaine Wharton, au grand galop, il y va de la vie. Suivez-moi de près : si vous me quittez, vous êtes perdu.
    Henry ne se fit pas répéter cet ordre. Dès qu’Harvey eut mis son cheval au galop, le capitaine en fit autant, et pressa par tous les moyens possibles sa misérable monture. Birch avait choisi lui-même la sienne, et quoiqu’elle fût bien inférieure aux coursiers pleins de feu et bien nourris des dragons de Virginie, elle valait beaucoup mieux que le petit bidet qu’on avait jugé devoir suffire à César Thompson pour faire une course. Quelques instants firent reconnaître à Henry que son

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