L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
valait mieux accorder de bonne grâce ce qu’on pouvait prendre de vive force. Il fit donc de nécessité vertu, et donna les ordres nécessaires pour qu’on remplît les désirs du capitaine Lawton.
Les officiers furent poliment invités à déjeuner avec la famille, et après avoir pris toutes leurs précautions à l’extérieur, ils acceptèrent volontiers. Le prudent partisan ne négligea aucune des mesures qu’exigeait la situation de son détachement. Il fit même faire des patrouilles sur les montagnes situées à quelque distance, pour veiller à la sûreté de ses autres soldats qui jouissaient, au milieu des dangers, d’une sécurité qui ne peut être le résultat que de l’habitude de l’insouciance, ou de la surveillance de la discipline.
Lawton et deux officiers, d’un grade inférieur au sien prirent place à la table de M. Wharton pour déjeuner. Tous trois étaient des hommes qui, sous l’extérieur négligé occasionné par un service actif et pénible, avaient les manières de la première classe de la société. En conséquence, quoique la famille pût les regarder comme des intrus, toutes les règles du plus strict décorum furent observées. Les deux sœurs laissèrent leurs hôtes à table, et ceux-ci continuèrent sans trop de modestie à faire honneur à l’hospitalité de M. Wharton.
Enfin le capitaine suspendit un moment une attaque très-vive contre d’excellents petits pains pour demander au maître de la maison si un colporteur, nommé Birch, ne demeurait pas dans cette vallée.
Il n’y vient, je crois, que de loin en loin, répondit M. Wharton avec promptitude ; il est rarement ici. Je pourrais dire que je ne le vois jamais.
– Cela est fort étrange, dit le capitaine en fixant un regard perçant, sur son hôte décontenancé. Demeurant si près de vous, il serait naturel qu’il vint offrir ses marchandises. Il doit être peu commode pour ces dames. Je suis sûr qu’elles ont payé les mousselines que je vois sur ce siège qui garnit l’embrasure de cette croisée le double de ce qu’il les leur aurait vendues.
M. Wharton se retourna, et vit avec consternation qu’une partie des emplettes, nouvellement faites était encore dans l’appartement.
Les deux officiers se regardèrent en souriant ; mais Lawton, sans faire aucune autre remarque, se remit en besogne avec un appétit qui aurait pu faire supposer qu’il croyait faire son dernier repas. Cependant l’intervalle nécessaire pour que Dina apportât un supplément de comestibles lui ayant donné un instant de répit, il reprit la parole :
– Je voudrais, dit-il, corriger ce M. Birch de ses habitudes anti-sociales. Si je l’avais trouvé chez lui, je l’aurais mis en un lieu où il n’aurait pas manqué de compagnie, pour quelques heures du moins.
– Et où l’auriez-vous mis ? demanda M. Wharton, croyant qu’il devait dire quelque chose.
– Dans le corps de garde, répliqua le capitaine.
– Qu’a donc fait ce pauvre Birch ? demanda miss Peyton en lui offrant une quatrième tasse de café.
– Pauvre ! s’écria le capitaine, s’il est pauvre il faut que John Bull le paie bien mal.
– Sans contredit, ajouta un des officiers, le roi George lui doit un duché.
– Et le congrès lui doit une corde, dit Lawton en prenant quelques gâteaux.
– Je suis fâché, dit M. Wharton, qu’un de mes voisins ait encouru le déplaisir du gouvernement.
– Si je l’attrape, dit le capitaine de dragons en étendant du beurre sur un autre petit pain je le ferai danser sous les branches de quelque bouleau.
– Il figurerait fort bien, ajouta le lieutenant fort tranquillement, suspendu à une de ces Sauterelles devant sa propre porte.
– Fiez-vous à moi, reprit Lawton, il passera par mes mains avant que je sois major.
D’après le ton décidé avec lequel les officiers s’exprimaient, personne ne jugea à propos de pousser plus loin la conversation sur ce sujet. Toute la famille savait depuis longtemps que Birch était suspect aux officiers américains. Il avait été arrêté plusieurs fois, et la manière toujours étonnante et souvent mystérieuse dont il s’était tiré d’affaire avait fait trop de bruit pour qu’on pût l’avoir oublié. Dans le fait, une grande partie de la rancune du capitaine Lawton contre le colporteur venait de ce que celui-ci avait trouvé moyen de se soustraire à la vigilance de deux de ses plus fidèles dragons, sous la garde desquels il
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