L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
Frances se livrant alors entièrement à la crainte, que signifie cette émotion ? Sûrement, bien sûrement, vous n’abandonnerez pas votre ami, mon frère, le vôtre ! Vous ne l’enverrez pas à une mort ignominieuse !
– Frances ! s’écria le jeune officier au désespoir, que puis-je faire ? que voulez-vous que je fasse ?
– Quoi ! dit Frances en le regardant d’un air égaré, le major Dunwoodie livrerait-il son ami entre les mains d’un bourreau, le frère de celle qu’il veut nommer son épouse ?
– Chère miss Wharton, s’écria le major, chère Frances, ne m’adressez pas de pareils reproches : je voudrais en ce moment mourir pour vous, pour votre frère. Mais puis-je trahir mon devoir ? Vais-je manquer à mon honneur ? Vous me mépriseriez vous-même si j’en étais capable.
– Peyton Dunwoodie, dit Frances, le visage couvert d’une pâleur mortelle, vous m’avez dit, vous m’avez juré que vous m’aimiez.
– Je le jure encore, répondit le major avec ferveur.
Mais Frances lui fit signe de garder le silence, et ajouta d’une voix émue :
– Croyez-vous que je puisse jamais consentir à nommer mon époux un homme dont les mains seraient teintes du sang de mon frère ?
– Frances ! s’écria le major au désespoir, vous me déchirez le cœur. Il se tut un instant pour lutter contre son émotion, et ajouta ensuite avec un sourire forcé :
– Mais après tout, pourquoi nous mettre à la torture en nous livrant à des craintes inutiles ? Quand je connaîtrai toutes les circonstances, il peut se faire que Henry ne doive être considéré que comme prisonnier de guerre, et en ce cas j’ai le droit de lui rendre la liberté sur parole.
L’espérance est de toutes les passions celle qui se fait le plus aisément illusion, et il semble que ce soit l’heureux privilége, de la jeunesse de s’y livrer aveuglément. C’est quand nous méritons nous-mêmes plus de confiance que nous sommes moins enclins au soupçon, et ce que nous regardons comme devant être prend toujours à nos yeux les couleurs de la réalité.
L’espoir incertain du jeune militaire, il le communiqua par ses regards plutôt que par ses discours à la sœur désolée. Elle se leva précipitamment, et s’écria, tandis que les roses renaissaient sur ses joues :
– Oh ! il ne peut y avoir aucun sujet d’en douter.
– Je le savais, Dunwoodie, je savais que vous ne nous abandonneriez pas dans un moment où nous avons si grand besoin de vous. Elle ne put résister à la violence des sentiments qui l’agitaient, et elle versa un torrent de larmes.
Consoler ceux que nous aimons est une des prérogatives les plus précieuses de l’affection ; et le major Dunwoodie, quoiqu’il n’eût pas lui-même une confiance bien entière dans les motifs de consolation qu’il venait de suggérer, ne put se résoudre à détromper l’aimable Frances qui était appuyée sur son épaule, en cherchant à effacer les traces de ses larmes, et en se livrant, non tout à fait sans crainte, mais avec une confiance renaissante, à l’espoir de trouver la sûreté de son frère dans la protection de son amant.
Frances, suffisamment remise de son émotion pour être maîtresse d’elle-même, s’empressa alors de le conduire dans la chambre voisine, pour apprendre à sa famille l’agréable nouvelle qu’elle regardait déjà comme certaine.
Le major la suivit presque à regret et avec de sinistres pressentiments ; mais en présence de ses parents il appela à son aide toute sa résolution pour subir avec fermeté l’épreuve qui l’attendait.
Les deux jeunes gens se saluèrent avec une cordialité sincère, et Henry montra le même sang-froid que s’il ne fût rien arrivé qui dût troubler la sérénité de son esprit.
L’horreur de devenir en quelque sorte un des instruments de l’arrestation de son ami, le danger que courait la vie du capitaine Wharton, et les déclarations désespérantes de Frances avaient pourtant fait naître dans le cœur du major un malaise que tous ses efforts ne pouvaient en bannir. Tous les autres membres de la famille lui firent l’accueil le plus amical, tant par ancienne affection que par le souvenir des obligations qu’ils lui avaient déjà, et peut-être aussi parce qu’ils ne pouvaient manquer de puiser des espérances dans les yeux expressifs de la jeune fille qui était à son côté. Après les premiers compliments, Dunwoodie fit signe à la
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