L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
alors successivement et firent leur rapport à l’officier commandant qui donna ses ordres avec ce sang-froid et cette promptitude qui assurent l’obéissance. Il ne se hasarda qu’une seule fois, tandis qu’il faisait tourner son cheval sur la pelouse qui y faisait face, à jeter un coup d’œil sur la maison qu’il venait de quitter, et son cœur battit avec une rapidité extraordinaire lorsqu’il aperçut une femme debout et les mains jointes à une fenêtre de l’appartement dans lequel il avait vu Frances. La distance était trop grande pour qu’il pût distinguer ses traits ; mais son cœur lui dit que c’était sa maîtresse.
Sa pâleur et la langueur de ses yeux ne durèrent pourtant qu’un instant. En se rendant sur le lieu qu’il destinait à être le champ de bataille, son ardeur martiale fit reparaître une vive couleur sur ses traits brunis par le soleil, et les dragons qui étudiaient la physionomie de leur chef comme un livre où ils pouvaient lire leur destin, y retrouvèrent ce regard plein de feu et cet air animé et enjoué qu’ils avaient si souvent vus à l’instant du combat.
En y comprenant les vedettes et les détachements envoyés en reconnaissance qui étaient alors de retour, la cavalerie sous les ordres du major formait environ deux cents hommes. Il y avait aussi un petit corps d’hommes à cheval qui remplissaient ordinairement les fonctions de guides, mais qui, en cas de besoin, faisaient le service de l’infanterie. Dunwoodie leur fit mettre pied à terre, et leur donna ordre d’abattre quelques haies qui auraient pu gêner les mouvements de la cavalerie. L’état négligé de la culture des terres, par suite des opérations de la guerre, rendit cette tâche assez facile. Ces longues lignes de murs massifs et solides qui s’étendent maintenant dans toutes les parties du pays n’existaient pas encore il y a quarante ans. Les clôtures légères en cailloux amoncelés avaient été formées pour rendre la terre plus facile à cultiver en en retirant les pierres, plutôt que pour être des barrières permanentes et marquer la division des propriétés ; elles exigeaient l’attention constante du laboureur pour les préserver de la fureur des tempêtes et de la gelée des hivers. Quelques-unes avaient été construites avec plus de soin dans les environs immédiats de la maison de M. Wharton ; mais celles qui coupaient la vallée en travers quelque temps auparavant n’étaient plus qu’une masse de ruines éparses, que les chevaux de Virginie franchiraient avec la légèreté du vent. On en voyait encore, ça et là quelques vestiges en assez bon état ; mais comme aucune ne traversait le terrain, que Dunwoodie destinait à être la scène de ses opérations on n’avait à abattre qu’un petit nombre de haies vives et quelques-unes formées par des claies. Cette besogne faite à la hâte fut pourtant parfaitement exécutée et les guides se rendirent ensuite au poste, que le major leur avait assigné pour le combat qui allait avoir lieu.
Le major Dunwoodie avait reçu de ses éclaireurs tous les renseignements dont il avait besoin pour faire ses dispositions. Le fond de la vallée était une plaine unie qui descendait par une pente douce et graduelle depuis le pied des montagnes qui s’élevaient de chaque côté, et dont le milieu était une prairie naturelle traversée par une petite rivière dont les eaux inondaient souvent la vallée, mais contribuaient à la rendre fertile. Elle était guéable partout, et elle n’offrait d’obstacle aux mouvements de la cavalerie que dans un seul endroit où, changeant de cours dans la vallée, elle se dirigeait du couchant au levant. Là les rives en étaient plus escarpées, et l’approche en était plus difficile. C’était en ce lieu que le grand chemin la traversait au moyen d’un pont de bois grossièrement construit, et il en existait un second à environ un demi-mille au-delà des Sauterelles.
À l’est de la vallée les montagnes étaient escarpées, et quelques-unes s’y avançaient même de manière à en diminuer la largeur de près de moitié en certains endroits.
L’une d’elles était à peu de distance en arrière de l’escadron, et le major donna ordre à Lawton de se placer derrière avec quatre-vingts hommes, et d’y rester en embuscade. Cette mission ne plaisait pas infiniment au capitaine, mais sa répugnance diminua en réfléchissant à l’effet que produirait sur les ennemis son
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