L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
soustraire aux poursuites. Plusieurs sentinelles placées dans des gorges de montagnes parlèrent d’une étrange figure qu’ils avaient vue passer à quelque distance dans les ténèbres. Ce bruit vint jusqu’aux oreilles des officiers, et comme nous l’avons dit, Birch tomba deux fois entre les mains des Américains. La première il échappa à Lawton presque à l’instant de son arrestation ; la seconde, il fut condamné à mort. Mais quand on alla le chercher pour le conduire au gibet, on trouva la cage bien fermée, et cependant l’oiseau était envolé. Cette évasion était d’autant plus extraordinaire qu’il était sous la garde d’un officier favori de Washington et de sentinelles qui avaient été jugées dignes de garder la personne du commandant en chef. Des hommes si estimés ne pouvaient être soupçonnés d’avoir trahi la confiance qu’on leur avait accordée, ni de s’être laissé corrompre ; aussi, bien des soldats étaient-ils convaincus que le colporteur était ligué avec le malin esprit. Cependant Katy repoussait toujours cette idée avec indignation, car, dans le secret de son cœur, elle concluait que le malin esprit ne payait pas avec de l’or. Et il en était de même, pensait-elle, de Washington ; car avant l’arrivée des secours de France, le chef de l’armée américaine ne payait qu’en papier et en promesses, et même depuis ce temps, quoique la femme de charge ne laissât jamais échapper l’occasion de sonder la profondeur de la bourse de peau de daim, elle n’avait jamais pu y découvrir l’image de Louis glissée parmi celles de George III.
Les Américains avaient fait surveiller plusieurs fois la maison d’Harvey, afin de l’arrêter quand il paraîtrait, mais toujours sans succès. L’espion prétendu avait de secrets moyens d’intelligence qui déjouaient ce système de contre-espionnage. Une fois qu’un corps de l’armée républicaine avait passé un été entier en cantonnement aux Quatre-Coins, un ordre émané de Washington même avait commandé qu’on surveillât nuit et jour sans interruption la maison de Birch ; on eut grand soin de n’y pas manquer, et pendant tout ce temps Harvey ne parut pas chez son père. Ce corps fut rappelé dans l’intérieur, et dès la nuit suivante il arriva.
Le père de Birch avait été lui-même fort inquiété par suite du caractère suspect de son fils. On prit sur la conduite du vieillard les informations les plus exactes, mais nul fait ne put être allégué contre lui, et ses biens étaient trop modiques pour exciter le zèle de prétendus patriotes qui ne se seraient pas trouvés dédommagés de leurs peines en les faisant confisquer pour les acheter. Au surplus, l’âge et le chagrin s’apprêtaient à le mettre à l’abri de toutes persécutions. La dernière séparation du père et du fils avait été pénible, mais elle avait eu lieu pour obéir à ce que tous deux regardaient comme un devoir. Le vieillard avait fait un secret de sa situation dans tout son voisinage, afin de pouvoir jouir sans interruption de la compagnie de son fils dans ses derniers moments. La confusion qui avait régné pendant toute la journée, et la crainte qu’il avait qu’Harvey n’arrivât trop tard, servirent à accélérer un évènement qu’il aurait voulu pouvoir retarder de quelques heures. Aux approches de la nuit sa situation empira à un tel point, que Katy, ne sachant que faire et désirant avoir quelqu’un auprès d’elle en ce moment de crise, envoya aux Sauterelles un enfant qui avait passé toute la journée dans la chaumière du vieux Birch plutôt que de se hasarder à traverser une vallée couverte de combattants. César était le seul individu dont on pût s’y passer, et miss Peyton lui ayant remis un papier rempli de ce qu’elle croyait être le plus utile à un vieillard épuisé par les années, l’avait chargé de cette mission de charité. Mais le moribond n’était plus en état d’en profiter, et le désir de voir son fils semblait le dernier lien qui l’attachât à la vie.
Le bruit de la chasse donnée au malheureux colporteur s’était fait entendre jusque dans cette chaumière, mais on n’en connaissait pas la cause, et comme Katy et le nègre savaient qu’un détachement de cavalerie américaine était à la poursuite de l’infanterie anglaise, la fin de ce tumulte fut aussi celle de leurs appréhensions. Ils entendirent les dragons passer devant la maison ; mais,
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