L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
labourait la terre dans une autre vue que de se procurer de chétifs moyens de subsistance, à l’exception de ceux qui étaient placés assez près de l’un des deux partis ennemis pour ne pas avoir à craindre les incursions des troupes légères de l’autre. La guerre offrait à ces derniers une moisson d’or, surtout à ceux qui se trouvaient dans les environs de l’armée royale. M. Wharton, n’attendant pas de ses terres des moyens de subsistance, s’était volontiers conformé à la politique du jour, et il se bornait à y faire croitre les denrées qui pouvaient se consommer promptement dans sa famille, ou qui étaient de nature à pouvoir être aisément cachées aux fourrageurs. Il n’existait donc, dans les environs du terrain sur lequel avait eu lieu l’action que nous avons décrite, qu’une seule maison habitée, appartenant au père d’Harvey Birch. Elle était située entre l’endroit où la cavalerie avait combattu et celui sur lequel les dragons américains avaient chargé le corps d’infanterie de Wellmere.
Cette journée avait été assez fertile en accidents pour fournir à Katy Haynes un sujet de conversation inépuisable pour tout le reste de sa vie. La prudente femme de charge avait maintenu jusqu’alors ses opinions politiques dans un état de neutralité. Ses parents avaient épousé la cause de leur pays, mais elle n’avait jamais perdu de vue le moment où elle deviendrait la femme de Birch, et elle ne voulait pas charger les liens de l’hymen d’autres entraves que celles dont la nature les a déjà si abondamment pourvus. Katy savait que le lit nuptial est toujours entouré d’assez d’amertume, sans y ajouter encore des altercations politiques ; et cependant la vestale curieuse ne savait trop elle-même pour quel parti elle devait se déclarer, afin d’éviter ce malheur qu’elle redoutait. Il y avait dans la conduite du colporteur tant de mystère et de réserve, qu’elle retenait souvent ses paroles à l’instant où elle aurait voulu manifester une opinion conforme à la sienne. Ses absences prolongées de chez son père n’avaient commencé qu’à l’instant où les armées ennemies avaient paru dans le comté, car avant cette époque il y revenait fréquemment et avec régularité.
La bataille des Plaines avait appris au prudent Washington les avantages que les ennemis possédaient du côté des armes et de la discipline, avantages qu’il ne pouvait surmonter qu’à force de soins et de vigilance. Retirant ses troupes sur les hauteurs dans les parties septentrionales du comté, il brava les attaques de l’armée royale, et sir William Howe retourna jouir de ses conquêtes stériles, qui étaient une ville déserte et les îles adjacentes. Depuis ce temps, jamais les armées ennemies ne s’étaient disputé la supériorité dans le comté de West-Chester. Cependant à peine se passait-il un jour qui ne fut marqué par quelque incursion de partisans, et rarement on voyait le soleil se lever sans que les habitants eussent à entendre la relation des excès que la nuit précédente avait servi à cacher. C’était aussi pendant les heures que les autres consacrent au repos que le colporteur faisait la plupart de ses courses dans le comté. Le soleil, en se couchant, le voyait souvent à une extrémité du canton, et il le trouvait à l’autre quand il se levait. Sa balle ne le quittait jamais, et ceux qui l’examinaient de près dans ses opérations de commerce croyaient que toutes ses pensées étaient concentrées dans le désir d’amasser de l’argent. On le voyait fréquemment près des montagnes de l’est, le corps courbé sous le poids dont il était chargé, et bientôt on l’apercevait près de la rivière de Harlaem, se dirigeant d’un pas plus léger vers le soleil couchant. Mais ses apparitions étaient passagères et incertaines ; personne ne pouvait pénétrer ce qu’il faisait pendant l’intervalle qui les séparait. Il était quelquefois absent pendant des mois entiers, sans laisser découvrir aucune de ses traces.
Les hauteurs de Harlaem étaient occupées par de forts détachements de troupes royales ; l’extrémité septentrionale était hérissée de baïonnettes anglaises, et cependant Birch y passait sans qu’on l’inquiétât et presque sans qu’on fit attention à lui. Il ne s’approchait pas moins fréquemment des lignes américaines, mais avec plus de précautions, et en se ménageant, les moyens de se
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