L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
dont les traits annonçaient un esprit agité depuis longtemps par les passions. Ses vêtements grossiers, malpropres et en lambeaux, lui donnaient un air de pauvreté étudiée. Ses cheveux commençaient déjà à se couvrir d’une blancheur prématurée, et son œil enfoncé et hagard évitait le regard franc et hardi de l’innocence. Il y avait dans ses manières et ses mouvements une sorte d’agitation inquiète, suite de l’esprit pervers qui l’animait, et qui était aussi désagréable pour les autres qu’incommode pour lui-même. C’était le chef bien connu d’une de ces bandes de maraudeurs {26} , qui, sous le masque du patriotisme, infestaient le pays et se rendaient coupables de tous les crimes, depuis le vol jusqu’au meurtre. Derrière lui étaient plusieurs individus vêtus à peu près de la même manière, mais dont les traits n’exprimaient que l’indifférence d’une insensibilité brutale. Tous étaient armés de fusils à baïonnette et portaient en général toutes les armes ordinaires de l’infanterie. Harvey savait que toute résistance serait inutile, et il se soumit tranquillement à tout ce qu’ils exigèrent de lui. En un clin d’œil, César et lui furent dépouillés de leurs vêtements, en place desquels on leur donna les haillons des deux hommes les plus déguenillés de la bande. On les plaça ensuite chacun dans un coin de la chambre, et dirigeant le bout d’un mousquet sur leur poitrine, on leur ordonna de répondre catégoriquement aux questions qui leur seraient faites.
– Où est ta balle ? demanda le chef au colporteur.
– Écoutez-moi, répondit Birch tremblant d’émotion : mon père est à l’agonie dans la chambre voisine ; laissez-moi aller recevoir sa bénédiction et lui fermer les yeux, et vous aurez tout ; oui, tout.
– Réponds à ma question, ou ce mousquet t’enverra tenir compagnie au vieux radoteur. Où est ta balle ?
– Je ne vous dirai rien avant d’avoir vu mon père, dit Harvey avec résolution.
Son persécuteur leva le bras avec un sourire diabolique, et il allait exécuter la menace, quand un de ses compagnons l’arrêta en s’écriant :
– Qu’allez-vous faire ? vous oubliez sûrement la récompense. – Allons, dis-nous où sont tes marchandises, et nous t’enverrons voir ton père.
Harvey leur indiqua où il avait laissé sa balle en fuyant. Un des brigands alla la chercher, et étant bientôt de retour, il la jeta par terre en jurant quelle était aussi légère que si elle n’était remplie que de plumes.
– Oui, s’écria le chef, mais il doit y avoir quelque part de l’argent pour prix de ce qu’elle contenait. Donne-nous ton argent, Harvey Birch ; nous savons que tu en as ; car tu ne te soucies pas du papier du congrès.
– Vous ne tenez pas votre parole, dit Harvey d’un air sombre.
– Donne-nous ton argent ! répéta le chef d’un ton furieux en faisant sentir au colporteur le fer de sa baïonnette, au point que quelques gouttes de sang rougirent ses vêtements. En cet instant un léger mouvement se fit entendre dans la chambre voisine, et Harvey s’écria d’un ton suppliant :
– Laissez-moi, laissez-moi aller voir mon père, et vous aurez tout.
– Je te jure que tu iras le voir ensuite.
– Eh bien ! prenez ce métal maudit, répondit Birch en lui jetant sa bourse qu’il avait eu l’adresse de dérober à leurs yeux en changeant d’habits.
Le brigand la ramassa, et lui dit avec un sourire infernal :
– Oui, oui, tu iras voir ton père, mais ce sera ton père qui est dans le ciel.
– Monstre ! s’écria Birch, n’avez-vous donc ni sentiments, ni foi, ni honneur ?
– Écoutez-le ! on dirait à l’entendre qu’il n’a pas déjà la corde autour du cou. – Sois bien tranquille, Birch : si le bonhomme prend les devants sur toi de quelques heures, tu es sûr de le rejoindre avant midi.
Cette annonce faite avec une méchanceté brutale ne produisit aucun effet sur le colporteur, qui écoutait en respirant à peine les moindres sons qui partaient de la chambre de son père. Enfin il entendit une voix faible et sépulcrale prononcer son nom, et ne pouvant résister davantage à son impatience, il s’écria :
– Paix ! mon père ! paix, je viens, je viens. Il fit en même temps un mouvement rapide pour s’échapper, mais il se trouva cloué à la muraille par la baïonnette du Skinner. Heureusement la promptitude avec laquelle il était parti lui
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