L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
cédant aux injonctions prudentes de César, la femme de charge avait réprimé sa curiosité. Le vieillard avait fermé les yeux, et l’on crut qu’il s’était endormi. La chaumière était composée de quatre pièces, deux grandes et deux petites. L’une des premières servait de cuisine et de salle à manger ; dans l’autre était couché le père de Birch. Une des deux petites était le sanctuaire de la vestale ; la seconde servait de dépôt pour les provisions. Une immense cheminée en pierre s’élevait au milieu du bâtiment, et servait de séparation entre les deux grandes chambres. Il s’en trouvait de dimensions proportionnées dans les autres appartements. Un bon feu brillait dans la cuisine, et c’était sous son énorme manteau que César et Katy étaient assis dans le moment dont nous parlons. L’Africain circonspect tâchait de faire sentir à sa compagne la nécessité de réprimer une curiosité dangereuse.
– Falloir jamais tenter Satan, disait César en roulant d’un air expressif des yeux dont le blanc brillait de l’éclat de la flamme qui pétillait dans la cheminée ; moi avoir manqué de perdre une oreille seulement pour avoir porté un petit bout de lettre. Mais moi bien vouloir qu’Harvey être ici.
– C’est une honte à lui d’être absent en un pareil moment, dit Katy d’un air imposant. Supposez que son père voulût faire son testament sur sa bible, qui pourrait l’écrire pour lui ? Harvey est un homme insouciant et négligent.
– Peut-être lui l’avoir déjà fait, dit César du ton dont on fait une question.
– Il n’y aurait rien d’étonnant, reprit vivement la femme de charge ; il a sa Bible entre les mains des journées entières.
– Lui lire un bon livre, dit le nègre d’un ton solennel. Miss Fanny lire souvent la bible à Dina.
– Mais il ne la lirait pas si souvent, continua Katy, s’il ne s’y trouvait que ce qu’on voit dans toutes les autres.
Elle se leva, entra sur la pointe des pieds dans la chambre où était le moribond, ouvrit le tiroir d’une commode, y prit une grande Bible, garnie de fermoirs de cuivre, et alla retrouver l’Africain qui l’attendait. Le volume fut ouvert, et elle se mit sur-le-champ à l’examiner. Il s’en fallait de beaucoup qu’elle fût habile dans la science de la lecture, et César ne connaissait pas une seule lettre. Elle passa quelque temps à épeler le mot Matthieu qu’elle vit au haut d’une des pages en grands caractères romains, et elle annonça sur-le-champ sa découverte à César, qui était tout attention.
– Fort bien, à présent vous lire tout, dit le nègre, regardant par-dessus l’épaule de la femme de charge en tenant une longue et mince chandelle de suif jaune, de manière à ce qu’elle jetât sa faible clarté sur le volume.
– Oui, mais il faut regarder au commencement du livre, répondit Katy en tournant négligemment les pages deux à deux ; et enfin elle en trouva une qui avait été blanche, mais qu’une plume avait couverte de son travail. M’y voici, s’écria-t-elle en secouant le livre avec toute l’ardeur d’une curiosité impatiente ; je donnerais tout au monde pour savoir à qui il laisse ses grandes boucles de souliers en argent.
– Vous lire, dit laconiquement César.
– Et la commode en bois de noyer, car jamais Harvey n’en aura besoin.
– Pourquoi pas lui en avoir besoin comme son père ? demanda le nègre d’un ton sec.
– Et les six grandes cuillers d’argent : car Harvey ne se sert jamais que de celles de fer.
– Lui le dire, sans doute, dit l’Africain en lui montrant l’écriture tout en écoutant l’inventaire que faisait Katy des richesses du vieux Birch.
Ainsi pressée par le nègre et ne l’étant pas moins par sa curiosité, Katy commença sa tâche, et pour en venir plus vite à ce qui l’intéressait davantage, elle passa la moitié de la page et lut lentement :
« Chester Birch, née le 1 er septembre 1755. »
– Elle avoir sans doute les cuillers, ajouta le nègre à la hâte.
– « 1 er juin 1760. En ce jour terrible, le jugement d’un Dieu offensé tomba sur ma famille… » Un gémissement profond partant de la chambre voisine interrompit la lecture. La femme de charge ferma le livre par instinct, et César trembla un instant de frayeur. Ni l’un ni l’autre n’eut assez de résolution pour entrer dans la chambre du moribond, qu’on entendait respirer péniblement. Katy
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