L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
n’osa pourtant pas rouvrir la bible, et en attachant les fermoirs avec soin, elle la plaça sur la table. César se tourna sur sa chaise, comme s’il se fut trouvé mal à l’aise, et dit, après avoir jeté un regard timide tout autour de la chambre :
– Moi croire lui s’en aller.
– Non, répondit Katy d’un ton solennel, il vivra jusqu’à ce que la marée s’en aille, ou que le coq chante pour annoncer le matin.
– Pauvre homme ! dit le nègre en s’enfonçant encore plus sous la cheminée ; moi espérer que lui rester bien tranquille après être mort.
– Je n’en répondrais pas, répondit Katy en regardant autour d’elle et en baissant la voix. On dit que pour être tranquille après sa mort il faut l’avoir été pendant sa vie.
– John Birch être un fort brave homme.
– Ah ! César ! on n’est brave homme que quand on se conduit en brave homme. Pouvez-vous me dire, César, pourquoi on cacherait dans les entrailles de la terre de l’argent honnêtement gagné.
– Si lui savoir où être cet argent, pourquoi ne pas le déterrer ?
– Il peut y avoir des raisons que vous ne comprenez pas, répondit Katy en arrangeant sa chaise de manière que ses jupons couvraient entièrement la pierre sous laquelle était caché le trésor secret du colporteur. Ne pouvant s’empêcher de parler de ce qu’elle aurait été bien fâchée de révéler, elle ajouta : – Il ne faut pas toujours juger de l’oiseau par la cage. César ouvrait de grands yeux qu’il tournait tout autour de la chambre, incapable de comprendre le sens caché de cette parabole, quand tout à coup son regard devint fixe, ses dents claquèrent d’effroi, et Katy, qui s’aperçut du changement de sa physionomie, ayant tourné la tête, vit le colporteur lui-même sur le seuil de la porte.
– Vit-il encore ? demanda Harvey d’une voix tremblante, et paraissant craindre d’entendre la réponse à cette question.
– Sans doute, répondit Katy en se levant à la hâte et en lui offrant officieusement sa chaise, il faut bien qu’il vive jusqu’au départ de la marée ou jusqu’au chant du coq.
– N’écoutant que l’assurance qu’elle lui donnait que son père vivait encore, le colporteur entra doucement dans la chambre du mourant. Le lien qui unissait ensemble ce père et ce fils n’était pas d’une nature ordinaire : ils étaient tout au monde l’un pour l’autre. Si Katy avait lu quelques lignes de plus, elle aurait vu le triste récit de leurs infortunes. Une catastrophe subite leur avait enlevé tout d’un coup leur aisance et leur famille, et depuis ce moment la détresse et la persécution s’étaient attachées à leurs pas errants. S’approchant du chevet du lit, Harvey se pencha et dit d’une voix entrecoupée :
– Mon père, me connaissez-vous ?
Le vieillard ouvrit les yeux lentement, et un sourire de satisfaction parut sur ses traits pâles, pour y laisser ensuite l’impression de la mort plus fortement tracée par ce contraste. Harvey approcha des lèvres desséchés du vieillard une potion cordiale qu’il lui avait apportée, et qui parut ranimer un instant ses forces. Il parla à son fils, mais avec lenteur et difficulté. La curiosité imposait silence à Katy, et l’effroi produisait le même effet sur César. Harvey semblait à peine respirer en écoutant les dernières paroles de son père expirant.
– Mon fils, lui dit celui-ci d’une voix cassée, Dieu est aussi miséricordieux que juste. Il a châtié les erreurs de ma jeunesse ; mais je sens qu’il ne refuse pas la coupe du salut à mon repentir dans ma vieillesse : il châtie pour purifier. Je vais rejoindre les âmes de notre malheureuse famille. Vous allez vous trouver seul dans le monde, Harvey, et je vous connais assez pour prévoir que vous continuerez à y vivre seul. Le roseau brisé peut conserver un reste d’existence, mais il ne relève jamais la tête. Vous avez en vous ce qui vous guidera dans les sentiers de la justice. Persévérez dans ce que vous avez commencé ; car il ne faut jamais négliger les devoirs de la vie, et…
Un bruit soudain dans l’autre chambre interrompit le mourant, et le colporteur impatient y courut pour en apprendre la cause.
Un seul coup d’œil jeté sur l’individu qui était à la porte ne lui apprit que trop clairement quel était le motif de cette visite, et quel destin l’attendait probablement. L’intrus était un homme encore jeune, mais
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