L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
de voir une femme sans éducation faire une méprise sur un sujet sur lequel les hommes les plus savants ont été si longtemps sans être d’accord. Et cependant vous voyez que cette respectable matrone ne rejette pas les lumières ; les lumières, Monsieur, les instruments qui peuvent être utiles à l’homme, soit pour réparer les injures que le corps peut recevoir, soit pour s’élever à la hauteur des sciences. Vous vous rappelez l’allusion qu’elle a faite à l’aiguille ?
– Oui, s’écria Lawton avec un nouvel éclat de rire, pour raccommoder les culottes du colporteur.
Katy se redressa, évidemment choquée de se voir attribuer des relations si familières avec cette partie des vêtements d’Harvey Birch ; mais, voulant prouver qu’elle était en état de se livrer à des occupations d’un genre relevé, elle se hâta de dire :
– Vraiment, Monsieur, ce n’était pas à un usage si commun que j’employais cette aiguille : il s’agissait d’un objet bien plus important.
– Expliquez-vous, dit Sitgreaves avec un peu d’impatience ; prouvez à monsieur qu’il n’a pas sujet de triompher ainsi.
Sollicitée de cette manière, Katy se recueillit un instant pour faire une provision d’éloquence suffisante pour orner sa narration. Le fait était qu’un enfant confié aux soins d’Harvey par l’administration des pauvres s’était enfoncé une grosse aiguille dans le pied en l’absence de son maître. Elle avait retiré l’instrument malfaisant, l’avait graissé avec soin, et l’enveloppant dans un morceau de drap, l’avait placé dans un coin de la cheminée sans appliquer aucun remède au pied blessé, de peur d’affaiblir la force du charme. Le retour du colporteur avait dérangé cette admirable combinaison, et elle en exprima les conséquences en terminant son récit par ces mots :
– Il n’est donc pas bien étonnant que l’enfant soit mort du tétanos {30} .
Le docteur Sitgreaves s’approcha d’une croisée, admira la beauté de la matinée, fit tout ce qu’il put pour éviter l’œil de basilic de Lawton, mais inutilement. Une force irrésistible le porta à le regarder en face. Le capitaine avait donné à tous ses traits un air de pitié pour le sort du malheureux enfant ; mais quand ses yeux rencontrèrent ceux du docteur, ils prirent un air de triomphe dont celui-ci fut tellement déconcerté que prétextant le besoin que ses malades pouvaient avoir de ses soins, il se retira précipitamment.
Miss Peyton demanda ensuite des renseignements plus détaillés sur la situation dans laquelle se trouvaient alors les choses chez Harvey Birch, et elle écouta patiemment et avec tout l’intérêt d’un excellent cœur la narration circonstanciée que lui fit Katy de tout ce qui s’y était passé la nuit précédente. Celle-ci ne manqua pas d’appuyer sur la grandeur de la perte qu’avait faite le colporteur, à qui elle n’épargna pas les invectives pour avoir découvert un secret qu’il eût été si facile de garder.
– Quant à moi, miss Peyton, ajouta-t-elle après avoir repris haleine un moment, j’aurais perdu la vie plutôt que d’en dire un seul mot. Le pire qu’ils pouvaient lui faire, c’était de le tuer ; et l’on pourrait dire qu’ils l’ont tué corps et âme, puisqu’ils en ont fait un vagabond méprisable. Qui voudrait être sa femme ou tenir sa maison à présent ? Quant à moi, je suis trop jalouse de ma réputation pour rester chez un garçon, quoique dans le fait il ne soit jamais chez lui. Je suis donc bien résolue à l’avertir aujourd’hui, que n’étant pas marié, je ne resterai pas chez lui une heure après l’enterrement ; et quant à l’épouser je ne crois pas que j’y songe, à moins qu’il ne veuille mener une vie moins errante et plus régulière !
La bonne miss Peyton laissa s’épuiser l’éloquence verbeuse de la femme de charge ; et par deux ou trois questions judicieuses qui prouvaient qu’elle avait une connaissance plus intime qu’on n’aurait pu le supposer des voies secrètes et tortueuses de Cupidon dans le cœur humain, elle tira de Katy des détails suffisants pour s’assurer qu’il n’était nullement probable que le colporteur, même dans l’état de délabrement de sa fortune, songeât à offrir sa main à miss Catherine Haynes. Elle lui dit alors qu’elle avait besoin d’une femme entendue pour l’aider dans les soins domestiques, et lui proposa d’entrer à
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