L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
son service si Harvey Birch ne la conservait pas au sien. Après quelques conditions préliminaires que fit la prudente femme de charge, l’arrangement fut conclu, et faisant encore quelques lamentations piteuses sur les pertes qu’elle avait faites et sur la stupidité d’Harvey, elle retourna chez le colporteur, tant par curiosité de savoir ce qu’il deviendrait que pour veiller aux apprêts des funérailles qui devaient avoir lieu le même jour.
Pendant cette conversation Lawton s’était retiré par délicatesse, et son empressement de savoir comment se trouvait Singleton le conduisit dans la chambre de son camarade. On a déjà vu que le caractère de ce jeune officier lui avait acquis l’affection particulière de tout son corps. Sa douceur presque féminine et ses manières pleines d’urbanité n’empêchaient pas qu’il ne fût doué d’une résolution mâle dont il avait donné des preuves, et qui lui avait assuré le respect d’une troupe de partisans belliqueux.
Le major le chérissait comme un frère, et la docilité avec laquelle il se soumettait aux ordonnances de Sitgreaves en avait fait aussi le favori du docteur. L’intrépidité avec laquelle ce corps se comportait sur le champ de bataille en avait placé successivement tous les officiers sous les soins de son chirurgien, et celui-ci les classant d’après leur soumission aux doctrines d’Hippocrate, mettait Singleton au plus haut de l’échelle ; et laissait Lawton tout en bas. Il disait souvent avec une naïveté aussi franche que plaisante, en présence de tous les officiers, qu’il avait beaucoup plus de plaisir à se voir amener Singleton blessé qu’aucun autre de ses camarades, mais qu’il n’en éprouvait aucun quand c’était le tour de Lawton ; compliment qui était reçu par le premier en souriant d’un air doux et tranquille, et par le second en le saluant gravement.
En cette occasion le chirurgien mortifié et le capitaine triomphant se rencontrèrent dans la chambre de Singleton, qui était pour eux comme un terrain neutre. Ils y passèrent quelque temps près de leur compagnon blessé, après quoi le docteur se retira dans l’appartement qu’il occupait. Il n’y était que depuis quelques minutes quand, à sa grande surprise, il y vit entrer Lawton. Le capitaine avait remporté une victoire si complète qu’il sentait qu’il pouvait être généreux. Commençant donc par ôter son habit, il s’écria avec nonchalance :
– Allons, Sitgreaves, que les lumières de la science viennent au secours de mon corps, s’il vous plaît.
Les lumières de la science étaient un sujet d’entretien insupportable au docteur en ce moment. Mais, se hasardant à jeter un regard sur le capitaine, il vit les préparatifs qu’il faisait, et remarqua en lui un air de sincérité sérieuse, qui ne lui était pas ordinaire. Tout son ressentiment s’évanouit à l’instant, et il lui dit avec politesse :
– Mes soins peuvent-ils être utiles au capitaine Lawton ?
– C’est à vous à en juger, mon cher Monsieur, répondit le capitaine avec douceur. Tenez, ne voyez-vous pas sur cette épaule toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ?
– Sans doute, et vous ne vous trompez pas, répliqua l’Esculape en passant légèrement la main sur la partie souffrante. Mais heureusement il n’y a rien de cassé. C’est un miracle que vous vous en soyez tiré à si bon marché.
– Oh ! dès mon enfance je savais faire le saut périlleux, et je m’inquiète peu de quelques chutes de cheval. Mais, Sitgreaves, ajouta le dragon en montrant une cicatrice sur son corps, vous souvenez-vous de cette bagatelle ?
– Parfaitement, Jack, répondit le docteur en souriant ; la blessure avait été reçue courageusement, et l’extraction de la balle fut habilement faite. Mais ne pensez-vous pas qu’il serait bon d’appliquer un peu d’huile à ces meurtrissures ?
– Certainement, dit Lawton avec une soumission inattendue.
– Maintenant, mon cher ami, reprit le docteur tout en se mettant en besogne, ne croyez-vous pas qu’il eût mieux valu faire cette fomentation hier soir ?
– Très-probablement, répondit le capitaine avec la même complaisance.
– Très-certainement, Jack, continua le chirurgien, et si vous m’aviez laissé faire l’opération de la phlébotomie à l’instant de votre arrivée, elle vous aurait été de la plus grande utilité.
– Point de phlébotomie ! s’écria Lawton d’un
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