L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
Lawton.
Sitgreaves ne daigna pas répondre à ce sarcasme ; mais, jugeant nécessaire pour soutenir sa dignité que la conversation continuât, il ajouta :
– Dans le cas dont il s’agit, il est possible qu’un traitement judicieux eût prolongé la vie du malade. Qui a été chargé de l’administration de cette affaire ?
– Personne encore, répondit Katy avec vivacité ; mais je crois qu’il a écrit son testament sur sa bible.
Le chirurgien ne prit pas garde au sourire des dames, et il continua son enquête en disant :
– Il est prudent d’être toujours préparé à la mort ; mais je vous demande qui lui a donné des soins pendant sa maladie ?
– Moi, répondit Katy en prenant un air d’importance, et je puis dire que ce sont des soins perdus ; car Harvey est trop méprisable pour m’en tenir compte à présent.
Les deux interlocuteurs ne s’entendaient nullement, mais chacun d’eux abondant dans son sens croyait comprendre l’autre, et la conversation n’en continuait pas moins.
– Et comment l’avez-vous traité ? demanda le docteur.
– Qu’est-ce à dire, comment je l’ai traité ? s’écria Katy avec un peu d’aigreur. Je l’ai toujours traité avec la plus grande douceur, vous pouvez en être sûr.
– Le docteur veut vous demander quels médicaments vous lui avez fait prendre, dit Lawton avec une figure allongée qui n’eût pas été déplacée à l’enterrement du défunt.
– Ah ! n’est-ce que cela ? dit Katy en souriant de sa méprise ; je lui ai fait prendre des bouillons d’herbes.
– Des décoctions de simples, dit Sitgreaves ; ces remèdes sont moins dangereux dans la main de l’ignorance que des médicaments plus puissants. Mais pourquoi n’avez-vous pas appelé près de lui un officier de santé ?
– Un officier ! s’écria Katy ; Dieu me préserve ! les officiers ont fait assez de mal au fils : pourquoi en aurais-je fait venir un près du père ?
– C’est d’un médecin que le docteur Sitgreaves vous parle, Madame, et non d’un officier militaire, dit Lawton avec une gravité imperturbable.
– Oh ! s’écria la vestale reconnaissant encore sa méprise, si je n’ai pas fait venir de médecin, c’est que je ne savais où en trouver, et c’est la meilleure raison possible. C’est pour cela que j’ai pris soin moi-même du malade. Si j’avais eu un médecin sous la main, je l’aurais consulté bien volontiers ; car, quant à moi, je suis pour la médecine, quoique Harvey prétende que je me tue à force de drogues ; mais que je vive ou que je meure, cela ne fera guère de différence pour lui à présent.
– Vous montrez en cela votre bon sens, dit le docteur en s’approchant de Katy qui, assise près du feu, se chauffait les mains et les pieds et se mettait le plus à l’aise possible au milieu de tous ses chagrins ; vous paraissez une femme sensée et discrète, et des gens qui ont eu plus d’occasions que vous de se faire des idées correctes pourraient vous envier votre respect pour le plus beau des arts, pour la reine des sciences.
Sans bien comprendre cette phrase, Katy sentit qu’elle contenait un compliment en son honneur, et, enchantée de l’observation du chirurgien, elle prit un nouveau courage.
– On m’a toujours dit, répliqua-t-elle, qu’il ne me manquait que l’occasion pour devenir médecin. Bien avant que je demeurasse avec le père d’Harvey, on me nommait déjà le docteur femelle.
– Plus vrai que poli {27} , dit le docteur, très-porté à oublier l’humble rang de Katy, par suite de l’admiration que lui inspirait le respect qu’elle montrait pour l’art de guérir. Il est certain qu’à défaut de guides plus éclairés, l’expérience d’une matrone discrète peut être d’une grande utilité pour arrêter les progrès du mal dans le système du corps humain. En de telles circonstances, Madame, il est cruel d’avoir à lutter contre l’ignorance et l’obstination.
– Sans doute, sans doute ; et je n’en ai que trop fait l’expérience, s’écria Katy avec un air de triomphe, Harvey est sur ce point aussi entêté qu’une mule. On croirait que tous les soins que j’ai pris de son père malade devraient lui avoir appris à ne pas mépriser une femme entendue. Il viendra peut-être un jour où il saura ce que c’est que de ne pas en avoir une dans sa maison. Mais méprisable comme il est à présent, comment aurait-il jamais une
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