L'Eté de 1939 avant l'orage
entendu le veuf lâappeler Ãlise.
â Vous pouvez me la décrire?
â Une grande brune, mince, déliée.
â La même qui a effectué la visite le jour du meurtre?
â Non, pas du tout, protesta la vieille dame.
Pourtant, lâidée valait dâêtre soupesée. Après un moment de réflexion, elle continua:
â Cette⦠traînée est de grandeur identique, mais plus mince, élancée, les cheveux plus courts. Puis ce nâest pas la même classe sociale. Si elle porte souvent les mêmes vêtements, ceux-ci sont toujours dâexcellente qualité. Elle possède une élégance naturelle. Tenez, je parierais quelquâun qui a déjà eu de lâargent, devenu pauvre ensuite. Elle essaie de maintenir le rang qui était le sien. Avec la crise, plusieurs personnes se sont retrouvées dans cette situation.
Cette vieille dame solitaire, négligée par son enfant, affichait une faculté dâobservation redoutable, ce qui en aurait fait une policière autrement plus compétente que le capitaine Tessier et son sixième sens. Au moment où il mettait la main sur la poignée de la porte, prêt à sortir, elle demanda encore:
â Et le petit garçon? Vous ne pouvez rien faire pour lui?
â Quel petit garçon?
â Le fils Davidowicz. Depuis que cette femme est là , il a lâair bien malheureux.
â Elle le maltraite? Des coups? Des insultes?
â Non, mais je suis certaine quâil aimerait recevoir des taloches, si elles venaient parfois avec un mot gentil, ou une caresse. Elle demeure de glace.
â Malheureusement, à moins de sévices précis, les services sociaux ne peuvent rien.
La vieille dame secoua la tête, referma la porte sur lui en murmurant:
â Les lois sont curieusement faites.Â
19
Le jeudi suivant, Farah-Lajoie se trouvait assis à la même table du restaurant Thémis , située un peu à lâécart. En attendant son employeur, il parcourait les lettres de menace. Déjà il avait opéré un premier classement, les plaçant en piles distinctes dâaprès la signature, ou la catégorie quand celle-ci faisait défaut: par exemple les membres du clergé, les chemises noires, les légionnaires, les Casques dâacier.
â Cela donne quelque chose? demanda Renaud en prenant place devant lui.
â Pas encore, mais je nâai pas fini. à la fin, je les classerai selon la graphie utilisée, ou le type de papier.
â La graphie?
â Bien sûr. Certains correspondants ont été éduqués en Europe, cela se voit tout de suite à leur façon de tracer les lettres.
â Oh! Je vous crois sur parole! répondit son interlocuteur en levant les mains, comme pour montrer son opposition à lâidée de recevoir un cours complet de criminalistique.
Le vieil enquêteur réfréna son enthousiasme pédagogique, sachant bien que tôt ou tard son employeur sâintéresserait à ses méthodes dâenquête.
â Alors, vous avez appris quelque chose?
â Oui. Le meurtre a vraisemblablement été commis par une femme, où un homme déguisé en femme.
â Une femme!â¦
à compter de cet instant, lâintérêt de lâavocat ne faiblirait plus, aussi longtemps que durerait le rapport de son enquêteur. Après que celui-ci eut présenté un compte rendu de sa visite à la vieille voisine, Renaud suggéra:
â Mais une personne peut sâêtre introduite par lâarrière, sans que cette dame sâen rende compte. Il y a certainement une porte ouvrant sur la cour.
â Laquelle est clôturée. Il serait bien improbable que Ruth Davidowicz ait laissé entrer quelquâun ayant sauté la barrière pour frapper à la porte donnant sur la cuisine. Et personne nâa forcé cette entrée. Cela autorise une seule possibilité: une visiteuse sâest pointée vers dix-huit heures trente et a quitté la maison dix minutes plus tard.
â Vous disiez que cela pourrait être un travesti?
â Ou une grande dame. La voisine penche pour cette dernière hypothèse.
Renaud demeura songeur un moment. Cette nouvelle donnée ruinait en entier sa vision de lâaffaire.
â Comment retrouver la trace de cette personne? Cela semble contredire totalement la piste des nazis: je
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