L'Eté de 1939 avant l'orage
croire aux arguments de la défense.
â La rumeur de la clientèle nantie vous semble-t-elle crédible?
â Ce que les pauvres trouvent dans les arrière-cuisines crasseuses aux mains de ménagères ne possédant aucune notion dâanatomie, les riches lâobtiennent chez des docteurs soucieux de rendre service.
â Ce qui donne un pouvoir considérable au toubib, sous forme de chantage, admit lâavocat.
â Vous connaissez déjà ce personnage, remarqua Farah-Lajoie, vous mâavez mis sur sa piste. Son train de vie me paraît très confortable, même pour un médecin: celui-là touche de très bons honoraires.
â Et le chantage que Lalonde pourrait exercer sâétendrait peut-être à la sphère politique, avec pour objectif de protéger les nazis.
Câétait exactement la prétention dâAlfred Côté, tout à fait plausible.
â Là , confessa lâenquêteur en riant, vous en savez plus que moi. Cependant, jâai tout de même exploré un peu de ce côté. Le docteur Lalonde semble un drôle de zigoto. Du côté de Valleyfield, le Parti de lâUnité nationale paraît bien populaire. Le médecin y possède un îlot sur le fleuve, que les villageois de Sainte-Barbe, la paroisse sur la rive à proximité, nomment lâîle du Diable. La rumeur publique veut que les avortements se déroulent souvent à cet endroit. Remarquez, câest habile: les clients doivent se garer au village, traverser à bord dâune chaloupe. Impossible dâorganiser discrètement une visite de la police.
â Un monsieur très prudent, avec un sens développé du mélodrame, commenta Renaud. Et cette île ne sert certainement pas quâà abriter des avortements clandestins.
â La rumeur, toujours elle, veut que le docteur Lalonde y concocte des orgies. Ã tout le moins, des hommes et des femmes sây rendent, les badauds entendent de la musique depuis la terre ferme.
â Et quelle nouvelle surprise renferme lâantre de ce médecin?
Comme Renaud avait observé que le détective nâavait pas épuisé sa pile de petites fiches, il savait quâil aurait droit à une autre confidence.
â Hier, je suis allé me promener avec un canot à moteur du côté de cette île. Jâaccumule mes reçus, nâayez crainte. Jâai vu un drapeau nazi à un mât, au-dessus de la cime des arbres.
Il y a aussi une antenne: cet homme sâintéresse à la radio à ondes courtes.
â Je parie que la rumeur fait de lui un espion.
â Oui. Lâîle servirait à organiser des rassemblements fascistes. La chemise noire, le béret et la culotte aux genoux y sont de mise.
â Et les meubles de chêne portent des croix gammées sculptées à même le bois, suggéra lâavocat.
Renaud reprenait mot à mot les renseignements entendus dâAlfred Côté. Lâenquêteur adressa un sourire entendu à son vis-à -vis avant dâajouter:
â Vous possédez donc deux sources dâinformations, dont vous pouvez croiser les renseignements. Je nâai pas vu ces meubles, bien sûr, mais le garçon qui effectue les livraisons pour le compte du magasin général de Sainte-Barbe mâen a fait une description admirative.
Farah-Lajoie en avait terminé de ses fiches. Renaud tira de sa poche son chéquier, octroya tout de suite un bon montant à lâenquêteur et attendit que celui-ci lui remette un reçu.
â Maintenant, vous vous consacrez aux antécédents de Ruth Davidowicz?
â Oui, et aussi à ceux du veuf joyeux. Si cela se trouve, nous serons peut-être tous les deux très étonnés du résultat de cette enquête. Mais le Procureur général mâa donné un mandat. Pendant les jours à venir, je vais délaisser un peu votre affaire.
Quelques minutes plus tard, les deux hommes se serraient la main devant la porte du restaurant, avant de se séparer.
Le vendredi 7 juillet, en fin dâaprès-midi, Renaud rentrait à Sainte-Agathe en compagnie de Virginie. Comme celle-ci abandonnait le cinéma pour les trois prochaines semaines, elle fit vivre au préalable une journée dâenfer à son assistant, répétant cent fois au moins chacune de ses innombrables recommandations. Finalement,
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