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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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pièce sur la droite, un salon aux meubles recouverts de peluche. Toute la maison embaumait l’encaustique et le renfermé. Quelque part une horloge égrenait les secondes. Farah-Lajoie accepta de s’asseoir dans un fauteuil, mais refusa toutes les offres de thé, de café ou de biscuits. Son «Jamais pendant le service» rassura son hôtesse sur son sérieux.
    Celle-ci prit place sur son siège habituel, le seul qui fût usé dans la pièce, donnant sur une grande fenêtre. Le voile léger empêchait quiconque à l’extérieur de voir à l’intérieur, à moins que l’obscurité ne soit tombée et la lampe électrique, allumée. Cependant, l’occupante de ce siège ne ratait rien de ce qui se passait sur le trottoir, mais aussi dans l’allée pavée conduisant à la porte de chacune des entrées jumelles.
    â€” Madame, je voulais entendre votre témoignage. Vous avez vu une femme se présenter chez vos voisins le jour du meurtre…
    â€” C’était plutôt en début de soirée.
    â€” … En effet, c’est ce que je vois ici, se reprit l’enquêteur en feuilletant de petites fiches. Aux environs de dix-huit heures trente. Il faisait encore clair, à cette heure-là?
    â€” Oui, bien sûr. À ce moment de l’année, en mai, le soleil n’est pas couché.
    Déjà, Farah-Lajoie se dit que ce témoin-là méritait qu’on l’écoute attentivement.
    â€” Pouvez-vous me la décrire à nouveau?
    â€” Si vous voulez. Les cheveux bruns, mi-longs, une personne de bonne taille. Sa robe fleurie et son imperméable semblaient un peu bon marché, et plutôt voyants.
    â€” Elle était grande?
    â€” Pour une femme, oui. Plus grande que vous, je pense.
    Cela réduisait l’échantillon à moins de dix pour cent de la population féminine de la province.
    â€” Si elle était si élancée, vous ne croyez pas qu’il pouvait s’agir d’un homme déguisé en femme?
    â€” Oh! Je n’avais pas envisagé cela.
    Son interlocutrice ferma les yeux à demi, comme pour revoir le film des événements.
    â€” Honnêtement, je ne pense pas. La démarche, les traits, je suppose qu’il s’agissait d’une femme, conclut-elle.
    â€” Avait-elle quelque chose de distinctif? À part les vêtements, je veux dire.
    â€” Je ne comprends pas…
    â€” Une cicatrice, un boitement, n’importe quoi qui permettrait de l’identifier.
    â€” Non, rien.
    Ã€ en croire cette dame, Ruth Davidowicz devait donc avoir été assassinée par une femme, ou par un travesti. Farah-Lajoie ne doutait pas qu’un homme soigneusement déguisé puisse tromper la vigilance de son témoin, quoi qu’elle en pense.
    â€” Aucune autre personne ne s’est présentée chez les voisins ce soir-là?
    â€” Pas à la porte d’en avant.
    Comme l’enquêteur gardait les yeux rivés sur elle, la vieille voisine admit sur le ton de la confession:
    â€” J’espérais la visite de mon garçon, alors je suis restée devant la fenêtre toute la journée. Mais il ne vient jamais.
    Bien sûr, le «toute la journée» devait être amputé des pauses pipi, et d’éventuels moments d’assoupissement. Mais quelque chose disait au détective que son interlocutrice ne devait pas rater grand-chose de la vie de ses voisins. Au moment où il fit mine de se lever pour partir, elle lui en donna la preuve:
    â€” Monsieur le policier, vous ne pouvez rien faire de cette femme?
    â€” La visiteuse?
    â€” Non, non, l’autre. Une grande brune qui s’est installée à côté quelques jours après le meurtre, alors que le lit de la pauvre Davidowicz se trouvait encore chaud. Cela ne se fait pas. Enfin, cela ne se fait pas à Outremont. Ils ne sont certainement pas mariés. Même les Juifs n’acceptent pas une situation aussi scandaleuse.
    â€” Malheureusement, cela tombe sous le couvert de la religion, pas des services de sécurité.
    Le regard de la vieille dame lui indiqua tout le mal qu’elle pensait de la séparation de l’Église et de l’État. Si la police ne pouvait pas imposer la vertu aux gens, demeurait-elle vraiment utile?
    â€” Vous connaissez le nom de cette femme?
    â€” Non… Je crois avoir

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