L'Eté de 1939 avant l'orage
nâai jamais aperçu de femmes parmi eux.
â Mais vous nâen verriez pas dans la plupart des organisations politiques, ce qui ne veut pas dire quâil ne sây trouve pas des militantes convaincues.
â Comment entendez-vous orienter vos recherches, maintenant?
â Vous ne considérez pas que dans toute cette histoire, il y a une grande absente: la victime!
Lâavocat adressa un regard étonné à son vis-à -vis, comme sâil ne suivait plus.
â La plupart du temps, les policiers cherchent à connaître le mort. Cela permet tout de suite de savoir qui lui en voulait, et pourquoi. Pour une femme, la réponse habituelle est le mari, ou lâamoureux. Ici, comme nous commençons par éliminer lâépoux visiblement pas très éploré, il faut regarder la victime autrement que comme un accessoire de théâtre.
â Ce qui signifie?
â Que je vais tenter de rencontrer la famille de la dame.
Peut-être trouverai-je là une piste tout à fait nouvelle.
Renaud Daigle acquiesça dâun signe de tête, comprenant bien que cela ferait apparaître lâaffaire sous un autre jour, puis il relança la conversation:
â Avez-vous recueilli des informations sur le docteur Lalonde?
â Lui? Jâaurais pu vous en donner dès mardi, mais jâai mis la journée dâhier à me rafraîchir la mémoire. Le personnage est tout de même connu des services de police.
Comme la dernière fois, les deux hommes avaient commandé un café quâils ne termineraient pas. Le vieux détective étendait devant lui des petites fiches couvertes dâinformations griffonnées à la hâte.
â Le docteur Paul-André Lalonde a été traduit en justice il y a deux ans: une jeune fille confiée à ses soins est morte lors dâune intervention chirurgicale qui ressemblait fort à un avortement. Lâhomme a plaidé que la patiente lui était arrivée déjà charcutée, quâil avait tout fait pour la sauver, en vain.
â Cela se tenait comme histoire: une gamine malchanceuse se retrouve enceinte, elle déniche une avorteuse qui lui rentre des aiguilles à tricoter dans le ventre. La patiente se sent mal, accourt chez le médecin qui ne peut lui venir en aide.
â à vous entendre, on dirait que vous avez défendu ce praticien. Le juge sâest montré tout disposé à avaler ce conte.
La difficulté, voyez-vous, câest que la rumeur tenace qui circulait chez les constables voulait que le magistrat ait eu lui-même une fille assez généreuse de sa personne, qui avait utilisé les bons services de ce docteur.
Bien sûr, cela se pouvait très bien. Surtout, Renaud croyait que les policiers pouvaient inventer bien des histoires pour se moquer des riches et des puissants⦠dont les juges faisaient partie. Aussi préféra-t-il commenter prudemment:
â Ce type de légende circule partout. Cela ne constitue pas une preuve. Je nây ferais pas beaucoup confiance.
â Mais moi non plus. Tout de même, jâai assisté au procès. Vous savez, dans ce genre dâévénements, il est assez rare que le suspect affiche plus dâassurance que le juge. Cette fois-là , câétait bien le cas.
Lâavocat se souvenait de lâallure arrogante du médecin.
Nâempêche, se trouver au banc des accusés pour un crime aussi grave aurait dû lui inspirer un minimum de modestie.
â Alors comment interprétez-vous ce retournement de situation?
â Si Lalonde se spécialise, comme le veut la rumeur, dans les avortements des jeunes femmes de bonne famille, tout le monde devait sâinquiéter que celui-ci rende public son carnet de rendez-vous. Même lâavocat de la couronne.
â Pourquoi celui-ci aurait-il porté les accusations? insista Renaud.
â La fille était morte dans des circonstances très louches, il y a eu autopsie. Celle-ci a démontré quâun avortement venait tout juste dâavoir lieu. Je présume que le Procureur général nâavait pas dâautre choix.
Ãvidemment, un peu comme dans le cas de Davidowicz, sâabstenir dâintenter des poursuites aurait paru très suspect.
Quitte à ce quâun avocat de la couronne pousse lâaffaire mollement, et que le juge se montre tout disposé Ã
Weitere Kostenlose Bücher