L'Eté de 1939 avant l'orage
continuait le policier.
Les moins agressives portent la signature de gens respectables, souvent des prêtres ou des élus. Les autres sont anonymes, parfois écrites à la machine. Impossible de les relier à leurs auteurs.
â Tout de même, jâaimerais y jeter un coup dâÅil. Et du côté du voisinage de la victime, personne nâa rien remarqué?
Le second service venait dâarriver devant eux, une truite fraîche accompagnée dâun peu de riz. Encore une fois, le policier se permit de prendre quelques bouchées en faisant mine de parcourir son carnet de notes avant de répondre:
â Rien. Mais vous savez, un calibre .22, cela ne fait pas de bruit. Personne nâa rien entendu.
â Aucun va-et-vient? Aucun étranger dans la rue, ou la ruelle, le jour du crime ou les jours précédents?
â Ce sont des rues tranquilles, nous tenons à lâÅil les gens qui nâont rien à y faire. Comme le meurtre a été commis un dimanche, à peu près à lâheure du souper, plus personne ne se trouvait sur les perrons ou dans les cours. En fait, de tous les voisins, seule une veuve dans la résidence dâà côté a aperçu une visiteuse.
Cette fois, lâenquêteur privé ne put dissimuler sa surprise:
â Une visiteuse, Ã lâheure du crime?
â Enfin, une femme qui devait vendre quelque chose, ou alors quêter. Elle nâa fait quâentrer et sortir. Dix minutes peut-être.
â Et elle est allée chez les voisins? Une vendeuse ou une quêteuse ne se serait pas limitée à seulement un domicile.
Le capitaine Tessier afficha un certain trouble, comme un gamin prit en défaut. Il affirma avec une assurance qui sonnait faux:
â Sauf si elle vendait, ou quêtait, exclusivement auprès des Juifs. Leurs résidences sont faciles à identifier, avec le petit machin quâils accrochent au cadre de la porte.
â Vous nâavez pas pensé que le meurtrier, ou la meurtrière, ne sâétait arrêté quâà une seule maison, et nâavait besoin que de rentrer et sortir pour accomplir la besogne?
Un coup de feu, cela ne prend pas de temps.
â Mais le coupable est un homme!
Cela aussi tenait sans doute au sixième sens du capitaine Tessier. à voix basse il décrivit les mutilations sexuelles sur le cadavre, avant de conclure, convaincu:
â Aucune femme ne ferait subir une chose pareille à une autre femme.
â ⦠Alors un homme habillé en femme?
Pour la première fois, la certitude du policier semblait ébranlée. Le repas se termina sur des échanges plus anodins.
Ensuite, Farah-Lajoie raccompagna son invité jusquâà son bureau, obtint sans trop de mal la liasse de lettres de menace contre la promesse de la remettre en mains propres à lâavocat dâArden Davidowicz.
Tant quâà se trouver à Outremont, autant effectuer tout de suite une petite vérification. Le docteur Davidowicz occupait une belle grande maison jumelée, au recouvrement de briques, dans la rue Davaar. Les deux portes dâentrée se situaient à moins de vingt pieds lâune de lâautre. Celle de gauche donnait sur le domicile du suspect. Farah-Lajoie se dirigea plutôt à droite.
â Certainement, rien nâéchappe à cette femme, se dit-il au moment dâappuyer sur la sonnette.
En effet, le rideau de la fenêtre sâouvrant sur la rue avait bougé un peu. Lâhuis sâentrouvrit sur une minuscule vieille dame aux cheveux gris souris avant même que la sonnerie nâeût cessé dans la maison.
â Oui, que voulez-vous? demanda-t-elle dans la fente dâun pouce.
â Monsieur Lajoie, détective. Jâaimerais vous parler du meurtre survenu à côté.
Avec certaines personnes, lâenquêteur savait amputer son patronyme et nâutiliser que la traduction de celui-ci. Cela lui valait parfois un meilleur accueil.
â Oh! prononça-t-elle, les yeux pétillants dâexcitation en ouvrant la porte un peu plus grande. Je croyais que la police avait délaissé les recherches.
â Dans ce genre dâaffaire, nous nâabandonnons jamais.
Est-ce que je peux entrer?
â ⦠Oui, oui, bien sûr.
Elle sâeffaça pour le laisser pénétrer dans un petit hall, puis lui fit signe de passer dans une
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