L'Eté de 1939 avant l'orage
Farah-Lajoie en vint tout de suite au sujet de sa visite:
â Comment se portait le mariage de votre fille?
â Mal.
â Pourtant, vous lâavez approuvé.
Une ombre passa sur le visage du fourreur. Après une brève hésitation, il se défendit:
â à cette époque, lâhypocrite était tout de miel. Avec des amis nous nous étions cotisés pour lui payer des études de médecine à McGill, puis un stage de perfectionnement en France et en Suisse. Il se montrait sous son meilleur jour, un bon Juif, enfin, un Juif plutôt libéral, comme il convenait pour quelquâun ayant étudié et voyagé. Tout de même, jamais un rendez-vous manqué à la synagogue, le plus grand respect pour les anciensâ¦
â Vous dites lui avoir permis dâétudier?
â Pas moi seul. Mais son père avait du mal avec son entreprise, à cinq ou six nous lui sommes venus en aide. Il se distinguait à lâécole depuis le début, nous pensions que ce serait lâambassadeur parfait auprès des chrétiens. Un homme talentueux, cultivé, raffiné, maîtrisant déjà lâanglais et le français.
â Quand a-t-il connu votre fille?
â Ã son retour de Suisse, en 1931.
Le vieux travailleur expliqua que la différence dââge entre les deux ne leur avait pas permis de se rencontrer auparavant en classe ou dans les associations israélites.
â Ce fut le coup de foudre?
â Non. Mais il se montrait poli, attentionné. Cela a semblé une bonne idée, à son père et à moi. Comme le Congrès juif pensait à lui comme à un candidat capable de rallier aussi des suffrages chez les chrétiens pour les élections de 1935, il valait mieux quâil se présente devant les électeurs marié, bien établi.
â Un mariage arrangé?
Lâautre le regarda dâun Åil mauvais, avant de convenir tout de même:
â Oui, si vous voulez.
â Les choses se sont détériorées rapidement?
â En tout cas, dès la campagne électorale, avec un enfant de pas tout à fait deux ans, il paraissait très soucieux dâobtenir lâappui des électrices. Après son élection, il a commencé tout de suite à passer des fins de semaine à Ottawa, ou alors dans son chalet de Sainte-Agathe. Avec la shiksa ⦠Vous savez quâelle sâest installée dans la maison de ma fille dans les jours qui ont suivi sa mort?
Cela ne méritait pas de réponse. Farah-Lajoie préféra demander plutôt:
â Comment Ruth vivait-elle cette situation?
â Comme une bonne juive. Elle se réfugiait dans lâespoir que le sens du devoir ramènerait son époux dans sa couche, et auprès de son fils.
â Elle nâa pas pensé à le quitter?
â Pourquoi? Parce que son mari sâétait entiché dâune traînée?
Bien sûr, cela ne représentait pas une motivation suffisante. Les conjointes de toutes les communautés religieuses ne remettaient pas en question leur situation pour un motif aussi futile.
â Et lui, pourquoi nâa-t-il pas simplement demandé le divorce, pour vivre avec lâautre femme?
â Oh! Pour une raison très simple. Vous voyez cette centaine de personnes?
Le vieux fourreur désignait dâun doigt noueux les travailleurs qui sâagitaient dans son atelier. Lâenquêteur se retourna à demi pour les regarder, puis ses yeux revinrent vers son interlocuteur.
â Jâai été très injuste avec eux. Je les ai payés moins cher que ne valait leur travail afin de donner une grande maison à ma fille, à Outremont, en guise de dot. Un cadeau de mariage, si vous préférez. Comme cela son mari, lâun des médecins les plus compétents de Montréal et futur candidat du Parti libéral, pourrait poser comme un bourgeois prospère. Sâil avait voulu divorcer, ma fille aurait pu mettre ses valises sur le trottoir et garder le domicile. Veuf, il peut y loger cette putain.
En plus de donner libre cours à sa passion pour une grande brune, Davidowicz trouvait donc un avantage matériel au décès de sa femme.
â Monsieur Grabowski, dans un tout autre ordre dâidées, pourriez-vous me dire si Ruth avait des ennemis, des personnes ayant eu un motif de souhaiter sa mort?
Son vis-Ã -vis lui jeta un
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