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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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À la fin il répondit:
    â€” Je n’ai pas d’autres enfants. Maintenant, je vous en prie, laissez-moi.
    Farah-Lajoie hésita un instant, puis obtempéra. Cet homme pleurait désormais sur son propre sort: non seulement son fils trahissait sa communauté en s’entichant d’une chrétienne, mais son petit-fils échappait sans doute à tout enseignement religieux.

    Au moment de descendre l’escalier, l’ex-détective se retrouva sur les talons d’une vieille dame au visage émacié, les cheveux en filasse, cassants, d’un gris sale. Quand ils atteignirent le trottoir, elle se retourna pour lui déclarer, les yeux dans les siens, en anglais:
    â€” Le patron vous a menti.
    â€” Que voulez-vous dire?
    â€” J’étais allée fumer une cigarette. Mon vice… En revenant, je vous ai entendus.
    Plus précisément, elle avait écouté la fin de la conversation depuis l’escalier, hors de la vue de Davidowicz. Son sourire révélait des dents réduites à l’état de chicots, brunies à la fois par les caries et sa mauvaise habitude.
    â€” La fin de l’échange, précisa-t-elle encore.
    â€” Vous comprenez le français?
    â€” Assez bien. À force d’entendre parler cette langue, il faut faire exprès pour ne rien déchiffrer.
    Ã€ son âge, elle l’entendait peut-être depuis cinquante ans.
    La suite de la conversation révélerait son niveau de compréhension. Farah-Lajoie demanda:
    â€” Que voulez-vous dire, par mensonge?
    â€” De son point de vue, il ne ment pas. Tout de même, en affirmant ne pas avoir d’autre enfant, il donne la version qui l’arrange le mieux. Le 21 mai dernier, il a chanté le kaddish pour sa fille Myriam.
    â€” Le kaddish ?
    â€” La prière rituelle pour les morts. Une petite cérémonie pour laquelle il faut réunir dix Juifs, afin qu’ils récitent cette prière.
    Cette femme comprenait peut-être le français, mais elle ne s’exprimait pas très clairement. Le père Davidowicz n’avait pas menti, un seul enfant lui restait. Après lui avoir expliqué ce point de vue, il s’entendit répondre:
    â€” Mais elle n’est pas vraiment décédée.
    â€” Je ne vous comprends pas.
    â€” Elle est mariée à un Français! Épouser des chrétiens est défendu chez les juifs. Alors un an jour pour jour après le mariage, le bonhomme a chanté le kaddish . À ses yeux comme à ceux de tous ses copains, elle est morte. Donc s’il ne vous a pas menti, il n’a pas dit non plus la vérité.
    â€” Vous avez déclaré que cette femme s’appelle Myriam?
    â€” Oui. Maintenant, elle porte le nom de son mari, Laliberté. Drôle de situation tout de même, morte d’un côté, libre de l’autre.
    Son interlocutrice n’approuvait sans doute pas tout à fait l’habitude de sa communauté de couper les ponts et de tenir pour mortes les filles ayant commis le crime d’épouser un chrétien. Après avoir remercié la vieille ouvrière, le détective se résolut à consacrer le reste de sa journée au service du Procureur général.

20
    Quand, au début de la semaine suivante, le téléphone se fit entendre chez les Daigle en fin d’après-midi, plusieurs sonneries retentirent avant qu’un Renaud à l’entrejambe mis à rude épreuve par les sessions d’équitation quotidiennes ne rejoigne l’appareil.
    Ã€ l’autre bout du fil, Farah-Lajoie commença par un compte rendu rapide de sa visite à l’atelier de Josef Grabowski, qu’il conclut en précisant:
    â€” Nous savons pourquoi un décès prématuré représente un avantage sur une procédure de divorce. La dot généreuse apportée par l’épouse, sous la forme du domicile conjugal bourgeois, serait demeurée dans le patrimoine de la dame, comme le veut la tradition de la communauté juive. Maintenant, le tout revient au joyeux veuf.
    â€” Vous vous souvenez, le monsieur possède un alibi, plaida l’avocat.
    Celui-ci se trouvait très mal à l’aise de discuter d’un sujet pareil en utilisant un moyen de communication aussi peu privé: à chacune des extrémités du fil, une téléphoniste pouvait très bien tendre l’oreille.
    â€” Je

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