L'Eté de 1939 avant l'orage
sais. Mais convenez avec moi que cela demeure un décès opportun. Sur tous les tableaux, votre client sort gagnant.
Un divorce lui aurait coûté une maison et des électeurs. Pour ces derniers, je comprends que sa façon de sâafficher sera du plus mauvais effet, mais tout de mêmeâ¦
â Et cette dame nâavait aucun autre ennemi?
â Craignant Dieu et vivant dans lâombre de son homme, il semble que non. Son paternel paraît très convaincu à ce sujet: il mâa chassé de son atelier quand jâai évoqué la question.
Comme vous le devinez, je ne peux extirper les confidences.
â Cette piste vous a donc conduit nulle part jusquâà présent. Les amis dâArcand?
Pour ne pas troubler la quiétude de la standardiste de Sainte-Agathe, Renaud avait préféré éviter le mot «nazi».
â Je continue dâexaminer les lettres, sans plus de succès.
Mais jâai aussi trouvé une autre bizarrerie dans ce dossier.
Vous saviez que les juifs célébraient les funérailles de leurs filles, si elles épousaient un chrétien?
â Chez les catholiques, il est interdit de marier un «infidèle». Passer outre, câest la mort de lââme.
â Oui, lâÃglise excommunie la fautive. Mais ses parents ne publient pas un avis de décès dans les journaux, et ils ne récitent pas pour elle la prière des morts.
â à votre place, précisa Renaud, je ne parierais pas que cela nâest jamais arrivé, avec toutes nos grenouilles de bénitier. Mais je conviens que ce nâest pas lâusage. Pourquoi me raconter cela? Vous donnez dans lâethnographie religieuse, maintenant?
â Simplement parce quâArden Davidowicz a une sÅur, Myriam. Elle a épousé un Canadien français du nom de Laliberté. Le jour où Ruth Davidowicz a été assassinée, son beau-père soulignait la date anniversaire du mariage de sa fille en chantant le kaddish , la prière des morts.
Lâenquêteur expliqua en quoi la cérémonie consistait. Les deux enfants de cette famille se trouvaient en rupture avec leur communauté dâorigine pour avoir voulu se rapprocher de la majorité. Bien sûr, cela tenait sans doute largement au charme personnel dâune Ãlise Trudel et dâun certain Laliberté.
Mais le désir de cesser dâêtre des éternels «étrangers» à Montréal, pour se fondre dans le grand «nous» Canadien français â ou Canadien anglais: la plupart des transfuges joignaient plutôt les rangs de cette communauté â, avait sûrement pesé sur les inclinations amoureuses.
â Cela signifie que cette jeune femme a dû se convertir au catholicisme pour avoir droit à une cérémonie religieuse, conclut Renaud. à moins que son époux ait consenti à un mariage civil, ce qui entraîne habituellement un véritable ostracisme chez les Canadiens français. Dans cette dernière éventualité, cela signifierait que les deux membres du couple se trouvent exclus de leur groupement dâorigine. Toutefois, je ne comprends pas le lien avec notre enquête.
â Si jâétais le capitaine Tessier, je vous expliquerais que mon sixième sens me dit quâil y a un rapport entre ces événements. Le frère voit sa femme assassinée alors quâil se complaît avec sa maîtresse catholique; le jour même, le père chante le kaddish pour sa fille convertie au catholicisme exactement un an plus tôt. Curieux hasard.
De tout cela, Renaud retint surtout du ton de son interlocuteur que la notion de sixième sens lui paraissait être une hérésie, à une époque où lâon parlait de plus en plus de «police scientifique».
â Une simple coïncidence⦠risqua-t-il.
â Que jâaimerais tout de même examiner de plus près, en rencontrant cette Myriam. Est-ce que ce sera à mes frais, ou payé par votre riche commanditaire?
La question fit sourire Renaud. Bronfman possédait assurément les moyens dâassouvir la curiosité dâun vieux détective dâorigine syrienne. Déjà , un chèque couvrant les premières dépenses engagées était arrivé par la poste la semaine précédente.
â à ses frais, bien sûr, si cela doit prouver que votre sixième
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