L'Eté de 1939 avant l'orage
même lâaddition dans ma note de frais.
Après un dernier baiser, Renaud rejoignit sa fille qui lâattendait sur le trottoir.
Pour le second congrès de la Jeunesse ouvrière catholique (J.O.C.), des milliers de personnes avaient envahi la ville.
Pendant deux jours, des jeunes des deux sexes de toute la province, et même de partout au Canada français et des Ãtats de la Nouvelle-Angleterre, où les émigrants originaires du Québec avaient été nombreux à sâétablir depuis un siècle, se livraient à lâétude des encycliques pontificales relatives à la question sociale. Tous ces gens, réunis au parc Lafontaine tôt le matin, convergeaient vers le mariage de masse à pied, bannières religieuses et patriotiques au vent. La circulation automobile se trouvait totalement paralysée sur leur parcours.
Après un long trajet dans des tramways bondés, à dix heures trente, le père et la fille versaient les soixante-quinze cents requis pour entrer dans le stade Delorimier. Pour ce prix prohibitif tous deux trouvèrent des sièges fort éloignés du terrain. Le seul avantage de leur position résidait en un petit coin dâombre, le soleil se trouvant derrière les super-structures de lâédifice. En fait, les simples spectateurs comme eux devaient se contenter des places restantes. Les invités des mariés, au nombre de plus de trois mille cinq cents finalement, avaient eu préséance: des chaises avaient été ajoutées sur la pelouse. Certains couples en avaient moins de trente, dâautres, heureusement peu nombreux, trois cents. Les congressistes venaient tout de suite après, dans les premières rangées des estrades.
â Une chance que je tâaie fait penser à apporter les jumelles, sinon tu ne verrais rien de notre perchoir, remarqua Renaud. Tu sais, nous aurions pu rester à Sainte-Agathe et regarder les photographies demain matin dans La Patrie , ou mieux dans Le Journal illustré . Puis il y aura encore les actualités cinématographiques.
â Ce ne serait pas la même chose, tu le sais bien.
Cette détermination à assister à ce mariage rassurait tout de même Renaud. Elle marquait certainement la fin des fantasmes de vie religieuse de sa fille.
â Tu me prêteras lâappareil photo?
Le père portait son Leica en bandoulière depuis le matin.
â Ã cette distance, ce sera peine perdue.
â Je descendrai jusquâen bas pour me mêler aux photographes.
Lâévénement avait attiré une foule de journalistes et de photographes des quatre coins de la province. à ceux qui représentaient la presse périodique, il fallait ajouter encore ceux que les familles des mariés avaient retenus pour immor-taliser lâévénement dans leurs albums. Des hommes des actualités filmées sâagitaient autour de lourdes caméras posées sur le losange du terrain de baseball. Nadja pourrait bientôt contempler ces images dans nâimporte quel cinéma, après les dessins animés et juste avant le film principal.
Un peu avant onze heures, les couples commencèrent à entrer dans le stade, sous les applaudissements frénétiques de la foule. Alors quâils accédaient au terrain, les futurs mariés recevaient un crucifix dâébène, leurs compagnes un chapelet dâargent. Des prêtres amenaient chacun des couples derrière une paire de prie-dieu disposés sur le losange. Un prêtre et un servant de messe allaient officier en face dâeux. En fait, les cérémonies étaient individuelles, avec chacune un ecclésiastique différent, mais menées simultanément, avec un maître de jeu, le père Ãmile Legeault, un religieux féru de théâtre, responsable de la troupe Les Compagnons de Saint-Laurent.
Lâarchevêque coadjuteur de Montréal, M gr Gauthier, commença le tout par une allocution touchante:
â Le mariage chrétien, sanctifié par la présence de Jésus aux noces de Cana, nous rappelle lâunion sacrée du Christ et de la Sainte Ãglise catholiqueâ¦
Dans les minutes suivantes, le prélat sâattarda encore sur les devoirs de soumission de lâépouse envers lâépoux, comme lâÃglise se trouvait soumise à la volonté de Dieu. Quand le prélat sâarrêta, le
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